Quantifier le Destin ( Jade-Cait-Kaya)

Elle avait sa tête des mauvais jours, son regard oscillant entre moi, immobile et droite sur ma chaise, les mains posées à plat sur le bois de la table de la cuisine et kaya qui écoutait bras croisés posé contre l’un des frigos. Le silence qui avait suivi mes (longues) explications n’augurait rien de bon, le visage de ma mère devenait au fur et à mesure de mes révélations de plus en plus fermé et concentré. Cette explication était succincte mais nécessaire, j’avais besoin de l’accord de ma mère pour appuyer un partenariat de mon Phd avec Centaurus. Bien sûr j’avais gardé pour moi tout ce qui devait rester confidentiel avec le docteur Payne mais j’avais insisté sur la vision réalisable et avancée du projet. A présent que ma découverte était établit et protégée, et que je m’étais expliqué avec le Docteur et Sanzo, il me restait à affronter ce que l’on nomme « l’autorité parentale » et cette autorité-là sous sa chevelure rousse n’a rien d’une force tranquille quand on la bouscule. Elle soupira lourdement et se passa la main dans les cheveux, geste qui ne présumait rien de bon.

- Bon…tu veux dire qu’en deux mois de phase ermite dans ta grotte, tu as pondu un truc aussi complexe qu’une théorie à la con fondamentale ?

- Maman…la science n’a rien de « con ». Ce n’est pas parce que tu ne compr..

- Ce que je comprends c’est que tu as affreusement mauvaise mine et que tu as perdu du poids, aucune théorie à la noix ne vaut de se laisser dépérir ! Nous avons déjà eu cette discussion, ne m’oblige pas à y revenir. TU as laissé cette obsession te dévorer complètement, rien que pour ça je devrais en toucher deux mots à ta fameuse doctoress de mes deux …

- Oui ca va, grognais-je…j’me suis déjà excusé c’est bon…on dirait Sanzo là.

- Et il a complètement raison Jeune Fille !

Le ton est enlevé et sans appel, j’esquisse en rictus de contrariété et baisse la tête adoptant une attitude soumise. Elle soupire à nouveau et son regard cherche Kaya.

- Tu en dis quoi, toi ? Ça tient debout sa découverte ? Toi aussi t’as un doctorat après tout….c’est faisable son truc ?

Alors que Kaya s’exprime je précise d’une petite voix.

- Les équipes du docteur Payne, des sommités scientifiques ont effectué des vérifications…ca tient la route. Je ne me trompe jamais, je sais que j’ai raison. Il faut à présent le démontrer empiriquement.

- Jade, que tu ne te trompes pas , je m’en tapes. Ton ego n’est pas en question ici…c’est ta crédulité qui me fait peur. Je ne te laisserais surement pas jouer à Oppenheimer pour une bande d’illuminés qui veut réinventer Star Wars !!

- C’est vexant, mumurais-je

- Non, c’est réaliste !!! Créer une nouvelle civilisation basée sur la sélection génétique, c’est tout aussi horrible et deshumanisant que les théories racistes du vingtième siècle. Il n’y a qu’un pas entre le projet du Docteur Payne et ceux d’Adolf Hitler : la sélection des espèces…c’est se prendre pour Dieu, ma fille !!

- Ce n’est pas ce que nous voulons !!!! On ne veut tuer personne !!

Pour la première fois , j’avais élevé la voix, les poings crispés sur la table.

- Parce qu’on en est déjà au « nous »…ricana ma mère.
bien….Jade…c’est éthiquement « mal », ce que veut faire Miss Payne. Je ne le lui laisserai pas embarquer ma fille dans son délire. La liberté des mutants est une bonne chose, la prendre de force parait légitime…sur le papier tout cadre, sauf que ca s’appelle la Confrérie et que ca a généré des milliers de morts innocents par des attentats « nécessaires ». Poursuivre un idéal amène à faire des sacrifices et souvent….de véritables horreurs. Tu ne tremperas pas la dedans.

Le silence est pesant alors que je me lève, résignée et calme.

- Et bien pour la première fois de ma vie, maman…je vais te dire…que je me passerais de ton avis, je suis déçue que tu ne me comprennes pas. C’est ma vie…c’est mon projet. Toutes les deux vous vous êtes battues à une époque pour défendre l’humanité et la préserver…je sais que vous vous battez encore aujourd’hui même, ne me prenez pas pour une neuneue, ce qu’on a fait en Irlande…et moi j’ai vu ces vidéos confessions…mais je n’ai rien à en dire parce que c’est votre choix. Centaurus est le mien. Je ne crois plus en ce monde, je pense que le seul moyen de le sauver c’est de recommencer autre chose, ailleurs et je vais y vouer ma vie….comme toi tu l’as fait pour les X Men à une époque…J’ai besoin de ma famille pour le faire, j’apprendrai à m’en passer, c’est aussi ça le sacrifice.

L'irlandaise secoua la tête, comme abasourdie.

- Jade…tu…ne sois pas aussi extrême dans tes propos. Je dis simplement que ton génie ne doit pas servir à des causes avilissantes, c’est un merveilleux cadeau que l’on t’a fait, ne va pas le gacher.

- Justement, j’ai passé mes jeunes années à ne servir que mes intérêts…c’est maintenant que ce talent va servir enfin à quelque chose qui me dépasse complètement. N’était-ce pas ce que disait ton fameux professeur Xavier ? « Mettre son don au service de l’humanité » ?

- Non, si…enfin c’est plus complexe…

- Oui maman….tout est toujours complexe, comme le choix d’un destin.

Je soupire et les laisse, me dirigeant sans me retourner vers ma chambre, le cœur lourd.

- Jade…Jade reviens !! On n’a pas fini de…ahhh…meerrrrrrrdeeeee.

Elle se prend la tête entre les mains s’ébouriffant la chevelure avant de geindre d’une voix plaintive.

- Taiiiiinnnnn…manquait plus qu’ça….Entre l’une avec sa secte d’Harry Potter et l’autre qui veux me rejouer Interstellar…me d’mande ce que me réserve Ary….La science c’est comme la magie…j’suis « out » dans l’domaine. T’en pense quoi de tout ça, toi ? J’devrais faire quoi ? J’veux pas me fâcher avec Jade. C’est ma fille. J’sais, c’est pas ta famille…mais si tu peux aider c’est le bienvenue là.

La situation était un peu tendue. Un brin. Bon, ok, une touffe. Jade était arrivée avec pleiiiiiiiin de grands projets mais elle avait besoin de l'aide de sa maternelle à ce niveau-là, surtout pour tout ce qui était trucs légaux en tous genres. De fait, elle avait dû donner pas mal de détails sur ce qu'elle voulait faire chez Centaurus et autant dire que, euh, c'était... ambitieux ? Ouais, le terme était faible. Sans déconner, c'était le genre de truc que je ne voyais pas arriver avant au moins 2000 ou 3000 ans facile, rien que le temps de changer les esprits des gens, trouver la techno, les moyens, ... Note, Centaurus avait les moyens et la théorie de Jade avait p'tet donné la techno. Je n'étais pas assez douée en physique ou astrophysique pour bien savoir de quoi il s'agissait en fait, je comprenais juste l'aspect superficiel. Trous de ver et tout le bordel... Mais le détail mathématique, là, j'étais larguée, autant le dire très clairement. Quant à l'aspect idéologique... Cait' n'était vraiment pas une grande fana.

Bon, de base elle n'était pas fana du fait que sa fille ait passé 2 mois en mangeant le strict minimum vital, à gratter des maths jour et nuit. Je n'avais pas non plus été super enthousiaste autant le dire mais je n'avais pas non plus trop cherché à l'arrêter ; j'avais plutôt tenté de m'assurer qu'elle reste en aussi bonne santé que possible. Plus d'une fois je l'avais interrompue plus ou moins de force en lui amenant de la bouffe. Des fois elle avait juste dit "merci, j'avais pas vu l'heure" avant de se replonger dans ses calculs, et des fois elle avait été saoulée que je l'interrompe, me traitant de gloutonne et me foutant dehors. Je ne l'avais pas mal pris, perso... Je savais ce que c'était que d'être prise à 5.000% dans quelque chose que l'on pense être majeur, capital, qui pourrait changer la donne. Néanmoins, rester dans cet état pendant trop longtemps était clairement malsain et je comprenais bien l'inquiétude de la mère rousse.

- Tu en dis quoi, toi ? Ça tient debout sa découverte ? Toi aussi t’as un doctorat après tout….c’est faisable son truc ? me demanda-t-elle alors, ce qui me prit un brin au dépourvu.

J'affichai un peu le regard d'un raton laveur devant les phares d'une voiture. Euh...

- Ben... j'suis docteur en biologie moi, pas en astrophysique... dans l'absolu ça a l'air d'tenir d'bout, puis comme elle dit ça a été r'vu par des mecs bien plus pointus qu'moi. Après la question c'est d'savoir si les maths peuvent d'venir d'l'ingénierie. Y'a plein d'concepts mathématiques qui n'existent qu'en maths et qui n'sont pas traduisibles sous forme d'technologie concrète.

Cait' n'était pourtant pas ultra convaincue, se lançant dans une diatribe assez bizarre. Quel rapport avec Oppenheimer ? Si sa théorie fonctionnait, elle pourrait juste ben, créer des trous comme Aislinn et Aislinn n'avait rien d'une arme atomique. La comparaison me semblait étrange. Quant à la sélection des espèces....

- Il n’y a qu’un pas entre le projet du Docteur Payne et ceux d’Adolf Hitler : la sélection des espèces…c’est se prendre pour Dieu, ma fille !!
- Euh... J'veux pas fout'la merde mais si j'ai bien suivi, la sélection s'ra pas génétique du tout, signalai-je un peu timidement.

Autant je voulais bien aider Jade, autant je ne voulais pas non plus me retrouver dans le collimateur de l'ardente Irlandaise. Quand elle était énervée, il valait mieux ne pas la faire chier sous peine d'avoir de sérieux emmerdements.

- La liberté des mutants est une bonne chose, la prendre de force parait légitime…sur le papier tout cadre, sauf que ca s’appelle la Confrérie et que ca a généré des milliers de morts innocents par des attentats « nécessaires ».  Poursuivre un idéal amène à faire des sacrifices et souvent….de véritables horreurs. Tu ne tremperas pas la dedans.
- Euh... 'core une fois j'veux pas fout'la merde, mais j'vois pas l'rapport avec la liberté des mutants vu qu'elle veut embarquer les humains aussi, et y'aurait pas d'violence vu qu'y foutraient l'camp sans butter personne. Genre si les mecs d'mon club de Basket me font chier et que j'me tire, j'suis pas violente, j'me tire juste, quoi, j'emmerde personne... Rien m'force à rester avec eux, quoi, et ce s'rait très con d'rester avec eux à m'prend'le chou en fait.

Je ne voulais pas forcément défendre le projet de Centaurus, mais par contre je tenais à ce que les faits soient clairs et respectés. Je n'aimais pas les débats reposant sur des faits inexacts, faux, voire mensongers. Pour qu'une discussion saine ait lieu, il fallait que les faits soient bien clairs, c'était la base du débat scientifique. Et ça devrait en théorie être la base du débat politique mais de toutes façons, maintenant, chaque élection n'était rien d'autre qu'une Real TV à la con avec des candidats qui répétaient les mêmes conneries sans jamais changer d'avis. Enfin, passons.

Jade se lança dans une longue tirade sur le fait de se battre pour l'humanité, que Centaurus était son choix, et autres. Oui, enfin il ne fallait pas oublier que c'était avant tout une compagnie privée et l'expérience m'avait montré qu'aucune entreprise privée ne devenait riche sans faire des trucs pas nets. Certes, celle-là avait une réputation ultra clean mais ça ne voulait pas dire qu'il ne se passait rien de douteux en coulisses, soyons clairs. Je n'avais pas suffisamment foi en la bonté humaine pour m'imaginer que Kaylinn Payne soit une humaniste qui aime son prochain et donne toujours 1 dollar aux clodos qu'elle croise... Il était très probable qu'elle ait fait pas mal de trucs douteux, en scred.

En attendant, Jade finit par foutre le camp, peu après que sa mère lui ait dit que la cause était "avilissante". T'ain, tu parles d'une discussion... Comment faire pour que votre interlocuteur se braque et se tire. Et là, la rousse se mit à m'observer en me demandant ce que je devais faire. Hmh...

- Euh... Ben... En soi soyons clairs... J'sais pas trop quoi penser d'ce projet. Sur l'papier ça a l'air bien mais dans la réalité, j'doute fort qu'ça soit aussi utopique que miss Payne semb'le croire. Embarquer des génies dans une sorte de colonie ? Un génie aux mauvaises intentions est BEAUCOUP plus destructeur qu'un imbécile aux mauvaises intentions... Du coup, leur filer les clés de l'espace pourrait provoquer des merveilles sans limites, ou des désastres. Mais d'un aut'côté, on pourrait en dire autant d'l'humanité en général : capable du plus fantastique et du pire imaginable. En plus si tous les gens dans l'espace sont des génies, y s'rendraient compte de c'que fait l'connard plus facilement qu'des idiots manipulables... En théorie. Mais p'tet pas. Du coup, quoi ? L'débat est-il sur l'intelligence ? Sur la sélection idéologique et morale ? Sur la nature humaine ? Y'a d'quoi s'griller le cerveau en prises de têtes philosophiques, là. A c'que j'ai pigé, sa nouvelle patronne veux à tout prix éviter d'exporter le pire d'l'humanité dans la galaxie, ça m'sembl'assez logique. Mais j'suis pas sûre qu'le résultat soit c'qu'elle espère qu'y s'ra. P'tet qu'elle va créer une utopie de ouf et qu'l'humanité s'ra vue comme la race la plus sage d'l'univers, grâce à elle. Ou p'tet qu'elle va créer par erreur un Space Hitler. On peut pas trop savoir en fait...

Soupirant longuement, je m'adossai au comptoir, me rapprochant ainsi de Caitlyn, avant de reprendre.

- Au d'là d'l'idéologie... La science derrière a l'air solide. Et j'connais quequ'noms des mecs avec qui elle boss'rait, c't'ait d'jà des putain d'rock stars d'la physique à mon époque. J'en pense qu'c'est une opportunité d'dingue pour elle, au niveau perso et professionnel. J'pense aussi qu'les chances qu'ce projet s'réalise en moins d'1 ou 2 millénaires sont assez faibles... Donc qu'en soi, la laisser s'lancer ce s'rait assez peu risqué. Après tu connais ta fille mieux qu'moi, mais à ton avis... Si tu lui dis "oui" sous conditions, et qu'les conditions sont raisonnables, ess'qu'elle les respect'ra ? Et si du tu lui dis "nan c'est mort", ess'qu'elle s'rait du genre à dire "d'accord" et oublier son projet dès l'lend'main ? Avec la première option t'aurais p'tet plus de contrôle et d'visibilité... Mais j'la vois mal en mode "oui maman j'oublie c'que j'considère être le projet d'ma vie".

Je levai alors les mains, histoire de montrer l'importance de la suite :

- APRÈS... Tu connais mieux ta fille que moi. P'tet qu'elle réagirait pas du tout comme j'le pense, faut l'savoir. Mais si tu veux mon avis perso, c'que j'ferais, ce s'rait d'aller la voir c'te Payne. A mon avis, si la théorie d'Jade est si géniale que ça, elle t'dira pas non si tu d'mandes à la voir. Et si c'est quelqu'un comme Jade, d'très intellectualisé dans sa façon d'faire et raisonner, faudra rester calme et logique. Jade, quand tu lui rent'dedans et qu'elle pige pas pourquoi, elle t'envoie chier. Si tu lui expliques c'qu'y va pas, elle pige vite. Si c'te Payne est du même genre, y aller en mode "salope tu veux niquer ma fille" ça va rien donner.

Clairement, j’aurai imaginé autre chose pour Jade. Je n’avais pas réalisé à quel point son génie était exceptionnel même après les tests où on m’avait conseillé de me rapprocher d’une école spécialisée pour développer son potentiel. Son don n’avait rien de « spécial », il n’était pas dû à une mutation génétique et si je savais quoi faire en ce cas-là, il est vrais que pour une « enfant » extraordinaire au Q.I extrêmement élevé, je nageais dans la brume surtout lorsqu’elle était déjà assez âgée quand on l’a diagnostiqué. Jade avait des pointes de syndrome d’autisme, ce qui expliquait ses phases obsessionnelles et ses nombreux TOCs , sa nature était totalement égocentrée et nous avions passé toute son adolescence à tenter avec plus ou moins de réussite à endiguer ses caprices et colères et l’ouvrir au monde. A l’évidence, travailler sur un tel projet aller la faire se refermer à nouveau sur un nouveau micro univers et un peu plus lui faire quitter « le monde réel ». Non, je ne pouvais pas lui ouvrir un chemin dans lequel, elle se perdrait. Mais était-ce quelque chose qu’elle pouvait seulement comprendre ou entendre ? Je l’ignorais, si dans le conflit je connaissais parfaitement l’ainée, c’était plus complexe avec la cadette.
Je tiquais sous les deux interruptions de Kaya. Elle cherchait à me casser la baraque ou quoi ? Ok ok..la sélection ne serait pas génétique mais clairement elle existerait ! Il y aura choix de la part des humains et qui dit choix dit sélection. A-t-on éthiquement le droit de procéder ainsi et au nom de quelle autorité ? Quant au rapport avec la confrérie, il n’était là que pour illustrer que chaque idéal « propre et noble » sur le papier a toujours une face plus sombre et le chemin de ceux qui le suivent est souvent semé de « sacrifice » ou d’ « actes pour la cause de l’idéal ». J’en savais quelque chose mieux que personne ! Kaya était réfléchis et aimait les détails et l’exactitude, tout mon contraire dans une crise ou je m’embarquais dans des allégories fumeuses, après tout je restais « fuzzy », laissant mes émotions déborder quand cette grande perche brune haussait un sourcil en adoptant un point de vue pragmatique et scientifique, ça me faisait de l’effet, ça oui….aussi horripilant qu’excitant en fait. Je me contentais de deux œillades noires avant de reporter mon attention sur le petit citron.

L’escalade était nécessaire et j’avoue, stratégique. Elle m’avait pris a rebrousse- poils, impossible pour moi de réagir autrement qu’ainsi surtout après les mois qu’elle venait de nous faire vivre. Mais elle m’avait clairement fait comprendre le message : c’était comme ça et pas autrement. J’y répondais par un « va te faire foutre » qui signifiait : laisse-moi le temps d’essayer de négocier.
J’écoutais avec intérêt ce que Kaya avait à me dire avant de me tasser sur ma chaise à soupirer profondément.

- Tu as vu aussi bien que moi comment elle s’est refermée sur elle-même ces dernières semaines…J’veux pas que ca perdure….Centaurus ou pas. Je refuse qu’elle s’engage dans une voie de…de sacrifices et d’oubli de sa propre existence…J’ai TOUT fait pour qu’elle puisse avoir ce que je n’ai…ce que nous n’avons pas eu, enfant. Elle a des chances de vivre normalement, d’avoir un bon mari…des enfants…une vie calme et tranquille…je la voyais doctoress, enseignante à la fac…un truc du genre...et la voilà qui parle de s’enfermer dans un labo, les yeux rivés aux etoiles…merde…Kaya…j’voulais pas ça pour elle. Je ne supporterais pas de la voir devenir comme Miranda…coupée de toute réalité.
Bien sûr que j’la connais…c’est moi qui l’ai éduqué du mieux que j’ai pu…j’étais pas vraiment la mère idéale mais s’est montrée vite mature et autonome au point qu’à 11 ans elle gérait déjà cette maison et nos besoins. C’est assez triste au fond, je désespère qu’elle…qu’elle n’est besoin de personne…à quinze ans, c’est-elle qui s’occupait de toute la « famille », une parfaite « intendante ». J’aurais voulu qu’elle puisse avoir une adolescence plus « normale » mais…mais je crois qu’elle était déjà résignée à passer à l’étape suivante.
Elle est plus têtue que nous deux réunies. C’est elle qui a décidé seule « d’avoir Sanzo », de se fiancer si tôt…c’est elle qui a décidé d’avoir Ari comme sœur et c’est avec son consentement que tu fais partie de sa famille. Elle n’aurait jamais demandée à nous parler à toutes les deux sinon…elle veut aussi ton assentiment.

Je me redressais cherchant et prenant sa main et la serrant fort contre la mienne.

- Oui…je sais qu’elle ne changera pas d’avis mais…il va me falloir avaler tout ça…et ravaler les rêves de normalité que j’avais pour elle. J’ai peur de la perdre, je l’aime…c’est dur d’expliquer ça à des « scientifiques », ils sont très doués pour ne pas voir l’évidence comme par exemple vivre avec quelqu’un depuis plus de trois mois en ne se rendant pas compte de sa place dans une famille….tu as ton mot à dire ici, chérie. Tu l’auras toujours même si tu m’agaces autant que tu m’excites quand tu le fais, nous avons tous besoin de toi ici.
Tu as raison aussi pour le Docteur Payne, il faut lui parler mais je ne le ferais pas seule, tu viendras avec moi. Tu m’éviteras de dire ou faire des bêtises qui pourraient compromettre l’avenir de Jade. Il doit bien y avoir un moyen de lui faire passer un Phd en alternance avec l’académie Tomorrow et Centaurus, puisque c’est ce qu’elle veut. Je vais y mettre des conditions…notamment sur sa vie sociale, pas question qu’elle laisse tout tomber et nous avec par la même occasion.
Je lui parlerais de tout ça au petit dej…demain….histoire de la conforter sur ma « bouderie ». Par contre si tu voulais bien aller lui parler pour voir si tout va bien…ca…enfin j’aime pas la savoir…fâchée, tu vois ?

Caitlyn avait raison sur un point : la situation dans laquelle s’était retrouvée Jade pendant plus de deux mois n’était pas viable, même pas à court terme. Après moins d’un an elle serait sous-nourrie, épuisée et le cerveau grillé. Par contre, Jade, être enseignante ? Je sais pas, je ne l’aurais jamais imaginée faire quelque chose qui ne soit pas ambitieux, voire BIEN TROP ambitieux. Elle ne m’avait pas l’air du genre à se contenter de quelque chose de ce type. Je comprenais, évidemment, les craintes de sa mère… Mais Miranda avait ses propres problèmes, dont certains semblaient liés à sa mutation, d’autres à des atteintes psychiatriques bien plus prononcées que celles que Jade subissait.

Maintenant, certes, elle n’avait pas eu une adolescence « standard », en partie à cause des événements, mais pas seulement. Elle avait aussi été plus mature que son âge car sa vie avait été très atypique. Elle avait été manipulée, abusée sexuellement, s’était retrouvée face à la mort à moins de 12 ans. Dans cette situation, la plupart des gens auraient grandi « trop vite ». Jade n’avait pas du tout eu une adolescence standard, mais d’un autre côté, en aurait-elle voulu, avec le recul ? Je n’avais pas non plus vécu les classiques trucs de série télé et dans un sens, je m’en foutais un peu… D’autant que…

- T’sais, Cait’… L’adolescence, c’la phase où on apprend à passer du b’soin d’approbation d’ses parents au b’soin d’approbation d’ses pairs… Or, les « pairs » qu’on a pendant l’adolescence, c’est souvent des gusses et nanas peu malins et ultra superficiels. Du coup… Même si Jade avait pas été l’intendante d’la maison… J’pense qu’elle aurait rien eu à fout’ d’leur avis. C’que j’veux dire c’est qu’elle est spéciale. Alors… Ouais, j’sais bien qu’tous les parents pensent ça d’leur gamins, mais là c’est vraiment l’cas. Même si elle avait eu l’OPPORTUNITÉ d’avoir une adolescence « normale », j’pense qu’elle n’l’aurait pas nécessair’ment voulue ni saisie donc faut pas t’faire d’bile avec ça.

Par contre, il y avait ce point-clé où j’étais totalement d’accord avec la MILF de la maison.

- En r’vanche c’est vrai qu’elle peut pas continuer comme ces deux derniers mois… Elle va faire une dépression nerveuse ou son cerveau va s’transformer en bol de corn flakes, à c’rythme-là. J’pense qu’elle en est consciente, au fond… C’qu’y faut c’est réussir à lui faire réaliser ça et ouais, ça s’ra pas facile vu qu’comme tu dis, elle est têtue… Et l’terme est faible, sans déconner.

Je pris sa main quand elle vint la chercher, avant de me rapprocher encore d’elle pour qu’on soit un peu plus en contact. Je me sentais mieux quand c’était le cas. Il n’y avait pas de raison logique et en fait, je n’en avais jamais cherché une.

En attendant, cette peur de perdre Jade me semblait à la fois compréhensible, mais aussi illogique. À sa façon, très particulière, je sentais bien que la jeune physicienne exaltée tenait à sa mère et sa famille. Quant au fait que j’aie mon mot à dire dans la maison… Sûrement oui, j’avais juste du mal à bien m’en rendre compte. Le fait était qu’il y avait sûrement moyen de démêler tout ça mais que pour l’instant, j’avais la tâche peu claire d’aller « lui parler ». Pour lui dire quoi ? Têtue comme elle était, je doutais fort que Jade ait bien envie de me parler, quoique j’avais plus ou moins pris son parti en tentant de rétablir les faits… On verrait bien.

- J’vais aller la voir wais, même si j’sais pas trop c’que j’pourrais lui dire mais on verra. Par cont’… ‘fin… Je soupirai, ne semblant pas trop savoir comment formuler les choses – ce qui m’horripilait, en règle générale. Je sais qu’j’ai ma place ici. J’t’ai dit, ça m’prendra du temps vu qu’tout c’qui est famille, c’t’un concept assez lointain pour moi. Un concept qu’on peut pas comprend’par la logique. Faut… L’apprend'par l’expérience, donc y m’faudra du temps. J’suis désolée, si… j’vais pas assez vite, ou j’sais pas… J’essaie. ‘fin j’sais pas si j’suis claire.

Probablement pas et ça me gonflait pas mal.

- L’fait est qu’pour Jade, j’viendrai avec toi voir la big boss s’tu veux, en plus ça m’permettra un peu d’voir d’quoi ça a l’air. Mais j’suis d’accord, mett’des conditions semble essentiel pour pas qu’elle r’parte en couille comme pendant les deux derniers mois. Comme j’disais… Si elles sont raisonnables, on pourra facil’ment les argumenter et ça d’vrait passer, j’pense. Enfin wais, j’vais la voir.

Après un rapide baiser, suivi de trois autres parce que finalement le premier ne me semblait pas suffisant, je me dirigeai vers la chambre de la jeune génie, toquant tranquillement.

- ‘Yo, t’es là ?

Ce n’était pas une introduction très impressionnante mais bon…

Au moins, il n’y avait pas eu de hurlements ou de grands cris mais finalement le résultat avait plus ou moins été identique que lors des conflits récurrents entre ma sœur et ma mère. Se heurter à la fermeté de Caitlyn, c’était tout simplement heurter un mur dans un bolide lancé à plus de 150 Km heure. Je détestais les esclandres, surtout avec des êtres incapables de conceptualiser mes idées, bien sur, elle avait beau être ma mère, elle avait ses propres limites d’incompétence et trop souvent quand on les dépassait, c’est son émotivité d’écorchée vive qui prenait le dessus, autant dire qu’il était bien inutile d’argumenter, surtout dans un domaine aussi complexe que les émotions où je m’en dépatouillais qu’avec grande difficulté. Mieux valait la planter là comme l’imbécile qu’elle était et la laisser fulminer seule dans son coin. De plus il me semblait que j’avais une alliée dans l’affaire, plusieurs fois Kaya s’était montrée intéressée par nos échanges tentant de recadrer scientifiquement le débat, exactement comme j’escomptais qu’elle le fasse. Oh demander à les voir toutes les deux n’était pas une idée innocente, Taz avait un esprit plus pragmatique et scientifique que celui de ma mère et ma mère était clairement amoureuse et donc influençable à son avis.

Je branchais ma console, bien décidé à empoigner mon gun pour dessouder pour me calmer les nerfs une armée de mutants zombies dans un shoot idiot au scénario abracadabrantesque. L’avantage de ces jeux vidéo retro, c’est qu’ils sont basiques et ne nécessite aucune réflexion poussée, ils sont si peu réalistes et si peu complexes qu’ils permettent de s’absorber sur une tache automatique tout en pensant à autre chose comme par exemple, la phase deux du débat qui se déroulait en dehors de mon regard. Je dirais qu’il y avait 95 % de chance que ma mère demande à Kaya ce qu’elle devait faire dans une telle situation. 90 % de chance qu’elle lui renvoi des arguments censés et intelligents comme la réelle opportunité de travailler pour Centaurus et sans doute une sous-estimation évidente de la faisabilité concrète du projet vu qu’elle ignorait ce que moi je savais de l’avancée des travaux de Payne. Forcément Cait chercherait à obtenir un avis en argumentant que la tatouée faisait partie intégrante de cette famille, chose acquise à mes yeux mais loin d’être intégrée par elle puisque cette dernière semblait être autant emmerdée avec ses sentiments que moi et surtout je pense, que la notion de famille n’est pas un concept pragmatiquement acquis à ses yeux mais là, je m’avançais peut être un peu trop : je dirais 65 % de chance. En tout cas, 99 % de probabilité que maman me snobe et préfère déléguer en me l’envoyant faire la causette et autant de probabilité que l’amante accepte même si en toute logique elle ne comprend pas trop la démarche, ni de quoi elle va bien pouvoir m’entretenir à moins que sa curiosité scientifique l’emporte…ca reste à voir, l’espèce humaine est toujours pleine de surprise.

J’esquissais un sourire satisfait lorsque j’entendis toquer à la porte au bout d’un moment. Je murmurais pour moi-même.

- Si prééééévisible…

Toujours sur le lit je me baissais un instant pour ramasser le second pistolet et le posais sur le lit tout en poursuivant ma partie.

- Et où tu veux que j’aille ? Que je fasse mon baluchon pour quitter cet endroit chassée par une mère cruelle qui accorde plus d’importance à la sorcellerie décérébrée de sa fille ainée qu’à la lumière glorieuse de la science triomphante de sa fille cadette ? On dit toujours que les génies sont incompris….c’eut été étonnant que je fasse exception…

Je la laisse entrer en lui jetant un rapide coup d’œil et lui montrant d’un geste le second revolver à coté de moi.

- Prends et joues…je ne mettrais pas en pause. A deux ça ira plus vite.
Alors c’est la partie « ta mère a raison » ou celle « j’suis à donf derrière toi ! »…t’as choisi ton camp ? Hâte de voir vos têtes quand Ari va annoncer à la famille qu’elle veut faire Escort-girl….Toute façon, mon choix est fait. J’suis pas en colère si c’est ce qui l’inquiète…juste déçue.

- Et où tu veux que j’aille ? Que je fasse mon baluchon pour quitter cet endroit chassée par une mère cruelle qui accorde plus d’importance à la sorcellerie décérébrée de sa fille ainée qu’à la lumière glorieuse de la science triomphante de sa fille cadette ? On dit toujours que les génies sont incompris….c’eut été étonnant que je fasse exception…

Je levai les yeux au ciel avec un soupir. Et voilà, les rivalités entre sœurs, et le génie incompris, et tout le tralala… Pour quelqu’un censé avoir un intellect aussi avancé, Jade se laissait quand même pas mal manipuler par ses émotions. Après, je savais que la capacité à se détacher de ses émotions pour analyser une situation au calme venait avec les années. J’en avais été longtemps incapable et la plupart des gamins-génies étaient généralement des gamins AVANT d’être des génies, au fond. Ennnnfin… J’entrai quand elle m’y invita, avant de saisir l’un des deux flingues. P’t’ain, c’était vintage ces machins…

Je me mis à shooter ce qui semblait être des zombies, alors qu’elle me demandait dans quel « camp » j’étais. Genre, y’avait que deux camps dans l’univers ? T’ain, ça me gonflait, ça. Le fait qu’Ari puisse vouloir devenir escort girl me fit sourire en coin. Ce serait tellement décalé que ça me ferait rire, personnellement. Et après, la déception, bah… Je me sentais vieille en pensant ça, mais c’était sûrement à mettre sur le compte de la jeunesse, en fait.

- T’sais… commençai-je en manquant de me faire bouffer. Ce jeu me disait quelque chose, tiens… Quelqu’un ‘vec ton intellect doit bien savoir qu’les convers’ à chaud donnent rar’ment grand-chose. J’veux dire… Tu t’es jamais prise la tête ‘vec quelqu’un pour t’rend’compte 1 heure après qu’en fait c’tait con ? Genre un prof’, un aut’élève, ou même miss Payne ? Mais ta grand-mère suce des ours, toi ! lançai-je vers une sorte de « super-zombie » qui refusait de crever. Lorsqu’il finit par céder aux tirs, je repris : Puis j’veux dire, merde… aucun des deux camps n’est vraiment dans l’juste, s’lon moi… Et c’est souvent l’cas.

Difficile d’expliquer ce genre de trucs de façon claire et correcte tout en shootant des monstres à l’écran, autant le dire. Bon j’avais un peu l’habitude mais ça ne changeait pas le fait que j’avais des difficultés à trouver des termes aussi précis que d’habitude.

- T’es plus intelligente qu’moi et ta mère, donc si moi j’m’en rends compte, tu d’vrais aussi pouvoir l’capter, j’pense. Ta mère pige rien à la science, et même moi qu’ai fait un peu d’physique, j’trouve ton truc ultra putain d’abstrait. Du coup, tu dois bien savoir qu’elle peut pas s’douter d’l’importance de c’que t’as fait. Si elle pouvait piger, tu sais que ça s’rait pas pareil. Si t’étais v’nue avec… MAIS TIENNNNS VOILÀÀÀÀ J’TE NIQUE, MOI ! lançai-je à l’écran, avant de revenir à la jeune physicienne. Euh, si t’étais v’nue avec une loi d’génie qui permet d’créer la paix dans l’monde, elle aurait pas réagi d’la même façon pac’que c’t’un domaine qu’elle comprend. Elle aurait pigé les implications direct. P’t’ain j’ai plus d’munitions, tu peux pas l’butter c’gros fils d-

Je m’interrompis alors qu’elle me débarrassa de l’importun qui m’avait sauté dessus alors que je n’avais plus rien dans mon chargeur, avant de récupérer des balles et de reprendre l’assaut.

- Cool merci. Enfin l’fait est aussi qu’ces 2 derniers mois… J’comprends qu’elle s’inquiète. Sans déconner, j’sais qu’tu t’en rends pas compte pac’que t’es d’dans, mais 2 mois d’plus à c’rythme et ton cerveau grillait, l’corps humain est pas fait pour c’genre de trucs. A mon avis, c’dont a b’soin ta mère, c’est d’piger c’que tu fais, même si c’est juste en surface, d’façon vulgarisée… Et d’êt’rassurée sur les risques qu’tu prends, autant ‘vec Centaurus qu’avec ta prop’santé. Je sais c’que c’est que d’se lancer 24h/24 dans un truc passionnant mais dans c’genre d’situation, tu perds beaucoup d’objectivité sur ta prop’condition. Et comme j’disais, j’dis pas ça comme une critique, j’ai fait pareil hein. D’aill-

Ah mais ça y est ! D’un coup, je me rappelais !

- WHOPUTAIN JE SAIS ! J’l’ai vu dans une sorte de salle d’arcade, c’jeu-là ! ‘fin, des machines de jeu qu’y’avait dans un Red Robin ! … ‘fin ouais, on s’en fout.

Je haussai les épaules, alors que le niveau prit fin. Les scores défilèrent et autant dire que je n’avais pas particulièrement brillé mais eh, ça va quoi, j’avais pas joué à ça depuis des plombes. La seule fois où j’avais vu ce jeu, c’était effectivement dans une sorte de mini-salle d’arcade, au premier étage d’un Red Robin Bar & Grill où nous étions allées manger avec les Amazones, à Portage dans le Wyoming. Nous étions parties à la recherche d’un mutant qui avait fui Détroit et dont le pouvoir était hautement instable – toute une histoire. Cait’, Toy et Calie avaient fini de manger et voulaient partir mais n’arrivaient pas à me trouver. En cherchant les toilettes j’étais tombée là-dessus et j’étais restée à l’étage bien 20 minutes à jouer, avant qu’elles ne me retrouvent et que Cait’ ne gueule quelque peu alors que je ricanais bêtement…

- L’fait est qu’y faut faire preuve d’patience dans c’domaine, j’disais la même chose à ta mère d’ailleurs. Et surtout, y faut rester sur les faits, c’qui est valable pour toi comme pour elle.

- T’sais… Quelqu’un ‘vec ton intellect doit bien savoir qu’les convers’ à chaud donnent rar’ment grand-chose. J’veux dire… Tu t’es jamais prise la tête ‘vec quelqu’un pour t’rend’compte 1 heure après qu’en fait c’tait con ? Genre un prof’, un aut’élève, ou même miss Payne ? Mais ta grand-mère suce des ours, toi ! ……Puis j’veux dire, merde… aucun des deux camps n’est vraiment dans l’juste, s’lon moi… Et c’est souvent l’cas.

J’esquissais un rictus inconscient lorsqu’elle faillit se faire bouffer comme une vulgaire noob. Ça m’aurait ennuyé que cela lui arrive. Ces moments avec Kaya était toujours plaisant parce qu’elle ne semblait jamais se demander « le pourquoi », inutile de lui expliquer pourquoi j’ai envie qu’on joue ensemble à ce jeu et pourquoi elle joue. Son esprit est aussi tordu que le mien et cela me plait. A son arrivée ici, je l’ai jugé comme une intruse, puis comme une sorte d’ « alien » incapable de se débrouiller à New Heaven mais sa patience, sa grande qualité d’écoute et sa fraicheur m’ont fait changé d’avis. D’élément manipulable, elle est devenue comme je l’en avais prévenue à l’époque…attachante. Elle est plus éveillée et finaude qu’elle veut le montrer, moins coincée que maman et beaucoup plus délirante. Elle compte. Son avis compte. En tout cas, hors de question qu’elle nous laisse à présent. Mais je ne lui dirais jamais ce genre de chose, je ne sais pas les dire.

- Mmm…J’ai assisté à tellement de prise de becs entre Maman et ma sœur que je sais exactement comment agir ou ne pas agir avec elle. Je ne vous demandais pas votre assentiment, je vous avertissais, c’est tout. Ses arguments n’étaient ni logiques, ni recevables, voilà pourquoi j’ai mis fin à une discussion stérile. C’est à elle de réfléchir la dessus, pas moi….et elle le fera…elle le fait déjà, après tout elle t’a envoyé, non ?
Je déteste deux choses : qu’on m’impose des bêtises comme des vérités argumentaires et qu’on tente de me manipuler…ces deux postures entrainent inévitablement de vives réactions chez moi. Le Docteur Payne n’avait pas attendu mon feu vert pour vérifier mon équation et m’a jeté directement dans un groupe d’étude composés de sommités…elle a provoqué une crise de panique chez moi…qui aurait pu conduire à une colère incontrôlable. Elle est parvenue à me calmer en jouant carte sur table. Elle a ma confiance à présent….(un rapide coup d’œil à Kaya)…garde ça pour toi s’il te plait. Maman se ferait des idées…Tu as raison, il n’y a pas de « camp », ne te fie pas à ce que disent mes mots…je pratique le sarcasme comme une distraction….Tu ne contrôle pas assez ce qu’il y a par la droite, du coup tu gaspilles tes munitions en panique….fais attention.


- T’es plus intelligente qu’moi et ta mère, donc si moi j’m’en rends compte, tu d’vrais aussi pouvoir l’capter, j’pense. Ta mère pige rien à la science, et même moi qu’ai fait un peu d’physique, j’trouve ton truc ultra putain d’abstrait. Du coup, tu dois bien savoir qu’elle peut pas s’douter d’l’importance de c’que t’as fait. Si elle pouvait piger, tu sais que ça s’rait pas pareil. Si t’étais v’nue avec… MAIS TIENNNNS VOILÀÀÀÀ J’TE NIQUE, MOI !. Euh, si t’étais v’nue avec une loi d’génie qui permet d’créer la paix dans l’monde, elle aurait pas réagi d’la même façon pac’que c’t’un domaine qu’elle comprend. Elle aurait pigé les implications direct. P’t’ain j’ai plus d’munitions, tu peux pas l’butter c’gros fils d-

Et voilà ce qu’il se passe quand on ne prend pas en compte les ressources dans un shoot. Je déteste les jeux coopératifs parce que mon binome n’est jamais aussi prévoyant que moi. Mais pas question qu’on s’en prenne à elle. Je sens un pic d’adrénaline monter alors qu’elle ne termine pas sa phrase. Décalant mon révolver pour arroser « le gros fils de », je soupire en murmurant d’une voix acide.

- Maman avait raison, dans le feu de l’action, tu n’écoutes pas les consignes… Ta droite, Bordel !

Je reprends une posture plus décontractée, replongeant dans le jeu en murmurant d’une voix éteinte.

- Je comprends bien que c’est déconcertant pour les néophytes, mais tu voulais qu’j’lui fasse un dessin ? Ça serait vous rabaisser. Je ne ferais pas cela, pas à ma famille. Ce que j’ai imaginé va nous permettre de s’affranchir des distances, le monde va en être radicalement changé. C’est de la téléportation sans destruction moléculaire. Une découverte change la face de l’Humanité quand il y a un avant et un après…ca sera le cas. Quand j’ai expliqué ça à Sanzo…j’ai vu la fierté dans son regard, j’aurai aimé voir ça avec vous…je n’ai vu que de l’inquiétude. C’est en cela que je suis déçue. Je ne suis pas jalouse de Aislinn mais…elle porte le manteau de maman et est devenue son héritière, je sais qu’elle fait sa fierté. Je veux être votre fierté aussi, c’est tout ce qui compte pour moi, je n’ai pas son sang ni sa chevelure mais je suis AUSSI sa fille.

- Cool merci. Enfin l’fait est aussi qu’ces 2 derniers mois… J’comprends qu’elle s’inquiète. Sans déconner, j’sais qu’tu t’en rends pas compte pac’que t’es d’dans, mais 2 mois d’plus à c’rythme et ton cerveau grillait, l’corps humain est pas fait pour c’genre de trucs. A mon avis, c’dont a b’soin ta mère, c’est d’piger c’que tu fais, même si c’est juste en surface, d’façon vulgarisée… Et d’êt’rassurée sur les risques qu’tu prends, autant ‘vec Centaurus qu’avec ta prop’santé. Je sais c’que c’est que d’se lancer 24h/24 dans un truc passionnant mais dans c’genre d’situation, tu perds beaucoup d’objectivité sur ta prop’condition. Et comme j’disais, j’dis pas ça comme une critique, j’ai fait pareil hein. D’aill-
WHOPUTAIN JE SAIS ! J’l’ai vu dans une sorte de salle d’arcade, c’jeu-là ! ‘fin, des machines de jeu qu’y’avait dans un Red Robin ! … ‘fin ouais, on s’en fout. L’fait est qu’y faut faire preuve d’patience dans c’domaine, j’disais la même chose à ta mère d’ailleurs. Et surtout, y faut rester sur les faits, c’qui est valable pour toi comme pour elle.

J’inclinais la tête, rares étaient ceux qui aimaient encore ces types de jeux. C’est pour cela que je me servais que d’émulateurs et de jeux rétros, les simulations récentes devenaient trop immersives à mon gout.

- Le Hic…c’est que…disons…tu vois quand tu as un air d’une chanson dans la tête qui t’obsède et que tu ne te souviens plus du titre…tu sais que c’est là…pas loin…quelque part et qu’il te suffirait d’un déclic…c’est ce qui s’est passé…je savais que c’était là, à portée des doigts mais impossible de mettre la main dessus, je tournais sans cesse autour. Je SAVAIS que j’étais proche de la solution, je ne pensais qu’à ça…plus rien n’avais d’importance que trouver ce titre que je savais là. J’ai perdu pied dans l’obsession.. je sais, j’ai eu tort. Je ne veux plus que ça arrive…vraiment. S’il vous faut des conditions, je les accepte. Si je retombe dans cet etat, je vous autorise à m’en sortir.

Je profitais du temps de chargement pour la regarder d’un air douloureux.

- Tu crois que MOI, je m’éloigne des faits ? Que je peux être capable de suivre une piste folle, une chimère ? Je suis la pragmatique de la famille, Kaya….si je m’investis chez Centaurus c’est que je SAIS que c’est réalisable, le docteur Payne m’a montré la réalité de ses travaux…pas des chiffres et des plans.. ;du CONCRET. Ce projet n’est pas de la science-fiction, il est à l’échelle d’une vie ! On ne parle pas de siècles…on parle de décennies. Je n’ai pas l’autorisation de révéler ce que j’ai vu et de toute façon, je ne le ferais pas pour ne pas mettre en difficulté Miss Payne face au complexe militaro-scientifique…mais la réalité est LA, bien visible. Quand, et je dis bien QUAND, mon équation sera mise en application en ingénierie, l’Homme pourra s’affranchir des distances spatiales, une fois l’autoroute tracée vers Pluton, il ne faudra plus sept ans pour y aller mais…moins d’une seconde !! C’est ce que j’appelle une révolution ! Tu ne peux être que d’accord avec moi !

Le chargement prenait un peu de temps… Manifestement, même si les machines avaient gagné en puissance, les émulateurs avaient encore toujours un peu de mal à charger ces vieux jeux. Je connaissais bien cette espèce d’obsession dont elle parlait mais cela ne changeait pas le fait que se plonger dedans de cette manière avait failli la mettre dans un état assez lamentable. Enfin, au moins elle était consciente de ce qu’il s’était passé et nous donnait même la permission – trop aimable – de la sortir de là si ça lui arrivait une nouvelle fois. Elle me signala ensuite qu’étant la pragmatique de service, elle n’était pas du genre à se lancer dans des trucs qu’elle n’aurait pas vérifiés auparavant, ajoutant qu’on parlait ici de décennies et non de siècles, pour le projet. Huh…

Je n’avais jamais réfléchi plus que ça au voyage spatial. Comme la plupart des gens je trouvais ça fascinant mais je n’imaginais pas l’humanité en train de coloniser une autre planète avant au moins un bon siècle. Coloniser Mars était faisable techniquement mais l’argent ne suivait pas : aucun gouvernement et aucune corporation ne voulait faire un investissement aussi risqué et complexe. Pour moi le souci n’était pas technique mais social et financier. Par contre… C’était vrai, Centaurus s’était sacrément lancée dans la conquête du système solaire. Je m’étais documentée et j’avais, pendant ma période sous stimulants, raté pas mal de trucs en fait ! Ils minaient carrément un putain d’astéroïde derrière la lune depuis quelques années et étaient en route pour en récupérer un autre ! Enfin, le fait était que Jade avait mal interprété mon propos sur les faits.

- Nan, j’sais qu’c’est dingue… même si j’me rendais pas forcément compte d’à quel point… Quand j’disais qu’y fallait rester sur les faits, j’voulais plutôt parler d’toi et d’ta mère, pas d’ton papier ou d’Centaurus, ça je sais bien qu’tu vas vouloir rester pragmatique. J’disais à ta mère que parler d’Hitler alors qu’y’a aucune sélection physique ni génétique, ou parler d’la Confrérie alors qu’y s’agit pas d’tuer qui qu’ce soit, c’est s’éloigner des faits et finir avec une conversation d’merde. D’la même façon, dire qu’Ais’ est « la choisie » d’ta mère pac’qu’elle est rousse, p’t’ain c’est dingue. J’discutais avec elle y’a quelqu’s’maines, et elle disait la même chose, qu’toi t’étais celle qu’avait tout l’temps l’approbation d’Caitlyn pac’que t’es intelligente, un génie, et qu’tu fais des grands trucs, alors qu’elle, elle s’fait rembarrer pac’que ta mère croit pas tell’ment à toute c’t’histoire d’dieux mutants et d’sorcell’rie et autres. En gros vous pensez la même chose l’une de l’aut’et dans les deux cas c’est d’la conn’rie.

Ah ! Chargement terminé. Le niveau commença, et… nous n’avions plus de flingues, juste des machettes en armes de mêlée. La gâchette permettait de s’en servir. Bon… on allait commencer au contact. Soit. Je commençai donc à hacher du zombie, tout en reprenant :

- Au moins j’aurai pas d’souci d’munitions avec ça… ‘finouais, comme j’disais, c’projet est… complexe en fait, j’pense pas qu’un avis sain puisse êt’formé à c’sujet en 10 minutes dans la cuisine. D’un côté y’a l’idée d’liberté d’mouvement. Si j’fais une fête chez moi, j’invite qui j’veux, j’ai pas d’obligation d’inviter des échantillons r’présentatifs d’la population d’la Terre. Personne du gouvernm’ent va oser v’nir me dire « vous avez pas invité d’racistes alors qu’y composent 30% d’la population, c’est pas normal ». Personne va jamais v’nir dire ça. Techniqu’ment, rien n’oblige miss Payne à prend’un groupe qui r’présente l’intellect moyen terrestre. Les gens aiment pas l'élitisme intellectuel pac'que ben, l'mec moyen est justement moyen... Mais c'pas illégal. Ni forcément immoral en fait... La diff-

Un blocage soudain. J’envoyai – dans le jeu hein – un coup de machette latéral dans un des zombies, qui se retrouva coupé en deux en biais. Je me retrouvai… subitement coincée. Je pouvais subitement… ressentir la sensation de mon aile, une fine lame déployée sur celle-ci, en train de rentrer dans la chair d’un garde du corps du pasteur Olson. Un anti-mutant qui avait fait des milliers de sermons haineux dans tout le pays et inspiré de nombreux mouvements de « purification » sur son sillage. Ce type, je l’avais tranché net. Son air agressif avait subitement laissé place à un air effrayé, perdu, alors qu’il comprenait subitement qu’une lame aussi fine qu’un rasoir était en train de le couper en deux et qu’il allait mourir. Dans son esprit passaient sûrement des milliers de pensées. Je pouvais les voir dans son regard. « Comment je m’en sors ? ». « Je peux pas m’en sortir, merde ! Je fais quoi !? ». « Mais… je peux pas crever maintenant, c’est pas comme ça que c’est censé se passer ! ». « J’ai pas fait de testament, qui va gérer les gosses ? ». Des centaines de pensées. Certaines niant la vérité, cherchant un espoir, une porte de sortie, d’autres se réduisant à la sinistre vérité, le tout en la fraction de seconde nécessaire pour que la lame ne le traverse entièrement.

Je pouvais le ressentir sur mes ailes – alors qu’elle n’étaient pas sorties. Je pouvais sentir l’odeur d’herbe mouillée du jardin sur-arrosé de ce connard de prêtre. Entendre les bruits des gardes du corps qui couraient et criaient d’appeler des renforts. Et voir le visage de ce type qui réalisait, d’un coup, qu’il était mort. Je me retrouvai à lâcher le flingue, me levant alors, l’air désorientée, en prenant de grandes respirations. Une fois appuyée au mur, Jade réalisa que quelque chose ne tournait pas rond – je tendis le bras vers elle entre deux respirations, signalant :

- C’est bon, 2 s’condes…

Je tentai de reprendre mon souffle alors que je pouvais l’entendre se lever, lâchant d’un ton assez sec :

- Sans déconner, 2 s’condes !

J’utilisais rarement ce ton, c’était celui qui voulait dire « c’est un ordre », en gros. Rarement utilisé, mais jamais à mauvais escient. Quand je parlais comme ça, c’était qu’il y avait une bonne raison, et en général qu’il y avait urgence. Penser à de la musique… Warheart, tiens. Les sonorités étaient très marquées, très fortes, il me serait assez facile de les suivre dans mon esprit histoire de pouvoir revenir un peu à moi. Ok. Je repris le contrôle de ma respiration après une bonne trentaine de secondes, me redressant de façon un peu maladroite et me frottant le visage.

- Ok… ooook, c’est bon… ouais, ça va.

Je soupirai un grand coup, me passant les mains dans les cheveux. J’avais les yeux rouges, le visage aussi d’ailleurs, pas terrible tout ça. Tant pis. Je retournai me rasseoir, avant de reprendre d’une voix encore un peu hésitante.

- Wais… donc… L’tri idéologique… ça pose problème pac’que… ‘fin… dans l’passé… y’en a eu et ça s’est fait par la violence. Et… l’idée d’violence s’est associée historiqu’ment à l’idée d’tri d’ce genre. Du coup… même si l’tri qu’veut faire Centaurus n’comporte pas d’violence… la notion d’violence va quand même rester collée à l’esprit des gens… ‘faut en t’nir compte en présentant les choses. C’pas logique ni rien, mais c’est ça, ‘faut faire avec et s’y adapter…

Bon il fallait que je garde les yeux ouverts. Quand je les fermais, je revoyais encore cette image… Je me forçai donc à les fixer où je pouvais : le lit, le bureau, peu importait.

- Nan, j’sais qu’c’est dingue… même si j’me rendais pas forcément compte d’à quel point… Quand j’disais qu’y fallait rester sur les faits, j’voulais plutôt parler d’toi et d’ta mère, pas d’ton papier ou d’Centaurus, ça je sais bien qu’tu vas vouloir rester pragmatique. J’disais à ta mère que parler d’Hitler alors qu’y’a aucune sélection physique ni génétique, ou parler d’la Confrérie alors qu’y s’agit pas d’tuer qui qu’ce soit, c’est s’éloigner des faits et finir avec une conversation d’merde. D’la même façon, dire qu’Ais’ est « la choisie » d’ta mère pac’qu’elle est rousse, p’t’ain c’est dingue. J’discutais avec elle y’a quelqu’s’maines, et elle disait la même chose, qu’toi t’étais celle qu’avait tout l’temps l’approbation d’Caitlyn pac’que t’es intelligente, un génie, et qu’tu fais des grands trucs, alors qu’elle, elle s’fait rembarrer pac’que ta mère croit pas tell’ment à toute c’t’histoire d’dieux mutants et d’sorcell’rie et autres. En gros vous pensez la même chose l’une de l’aut’et dans les deux cas c’est d’la conn’rie.

J’esquissais une sorte de moue de contrariété tout en continuant à me concentrer sur le jeu. Si je comprenais son allusion sur la pensée dérivante de ma mère, je n’appréciais pas spécialement cette sorte de leçon de morale sur mes relations complexes avec Aislinn. Kaya, d’après ce que j’en savais était enfant unique, elle ne pouvait pas comprendre combien cette émulation entre sœur pouvait être à la fois handicapante et enrichissante à la fois, ni combien cette rivalité n’avait pas de racines si profondes qu’on pourrait le penser, ce n’avait jamais été ma sœur que je jalousais, c’était sa place légitime. Un sentiment évidement compliqué à partager.

- Les arguments de maman ne sont pas si idiots lorsqu’on les replace dans son cheminement de pensée. Tu la connais depuis plus longtemps que moi, tu sais très bien qu’elle présente souvent des allégories comme des argumentaires, le message est clair derrière ses histoires de confréristes, d’Oppenheimer et consort…De toute idée, aussi pure et idéaliste, altruiste et bénéfique puisse-t-elle être, on peut dévier vers le pire. Le Bien appelle le Mal en écho. Les meilleures avancées technologiques, le char, la mitraille, le gaz, l’aviation…ont été industrialisées pour servir le premier conflit mondial du vingtième siècle : la science au service du Mal, puis récupéré pour le bien…On ne change pas la Nature Humaine, on doit composer avec elle. La vision du Docteur Payne n’a rien d’altruisme, c’est une vision de renoncement, sombre et réaliste sur un monde qui finira par se détruire…elle est nourrit de souffrance et d’éléments pragmatique et crus sur notre nature même. C’est aussi la mienne….vous ne la changerez pas, même avec l’amour…c’est ainsi que je vois le monde…un monde en mort cérébral qu’on a assassiné, il est temps de faire « autre chose ».

Je fais une légère pause, l’expression résolument adulte sur mon visage.

- Quant à Aislinn…Tu te trompes. Je l’attaque sur ses croyances uniquement parce que je sais que ca la fait vivement réagir. Au-delà de cette mesquinerie, c’est sa place que je jalouse un peu…tu ne sais pas toi, ce que ça fait de porter le nom des Oldfield et d’être une petite asiatique si…si différente. Quand j’étais enfant, on me demandait « pourquoi je ne ressemble pas à ma mère »…Qu’est ce tu veux répondre à ça quand tu as 8 ans ? Il suffit que je vois les cheveux d’Ais pour comprendre que quoi je puisse faire, découvrir ou réaliser. JAMAIS, je ne serais la fille biologique de Caitlynn. Ais n’aura jamais ce problème, sa filiation est une évidence même dans son orientation sexuelle, elle…elle « copie » maman…c’est une éponge…et tu as tort de croire que maman est hermétique au culte des Suivantes. Je te rappelle qu’elle en est membre et qu’elle participe aux cérémonies….tu sais bien que ce qu’elle n’a pas envie de faire, elle ne le fera pas, tu es pareille. Bien sûr qu’elle ne croit pas à la magie et à la sorcellerie, mais à la filiation, ça …c’est différent….et moi, une fois de plus…je n’ai pas cette filiation. Tu vois ?

un murmure

- De toi à moi, Kaya….tu te fies un peu trop aux paroles qui sont prononcées, elles sont parfois trompeuses, elles cachent autre chose de plus profond…surtout avec quelqu’un comme moi. Ce n’est pas ce que je dis qui compte c’est ce que je fais…ou ne fais pas.
Niveau terminé. Après ça se corse..


Elle poursuivit sur la sélection de l’espèce humaine. Bien sur que cela n’avait rien d’immorale, c’était juste représentatif d’une vérité qu’on essayait de dissimuler : 90 % de l’espèce était potentiellement inutile sur cette planète et ne devait sa survie qu’à l’absence de prédateur. Etait-ce mal de le penser ? Je ne pense pas, il y a diffèrent type d’intelligence mais est ce mal de constater qu’une caste des individus sur cette terre sont tout simplement des parasites inutiles se laissant aller au pire coté de leur nature ? Elle s’interrompit brutalement attirant mon attention. Elle se releva posant précipitamment son révolver alors que je mettais en pause.

- Hum…si t’as envie de pisser, le minimum de la politesse…

Je ne terminais pas ma phrase, l’observant avec inquiétude.

- Kaya ? Qu’est-ce que tu…

- C’est bon, 2 s’condes…

J’inspirais avec contrariété, non ce n’était pas bon, elle manifestait tous les signe d’une crise brutale d’angoisse. Mon regard cherchait partout l’élément déclencheur…pas mes propos…elle aurait réagi avant. Mes yeux se posèrent sur le jeu en pause et l’image à l’écran d’un zombie se faisant splitter en deux. Je vois…Je me levais, éteignant immédiatement l’écran.

- Je vais chercher Maman…tu peux t’allonger si tu veux.

- Sans déconner, 2 s’condes !

Je m’immobilisais aussi tôt, le ton était impératif. Je fus étonné non pas qu’elle l’utilise mais que j’y réponde ainsi. Elle avait une autorité naturelle sur moi. Je m’en étais pas rendu compte, est-ce à dire que nos liens étaient déjà si développé ? Sans doute, en tout cas son état me préoccupait même si je rasseyais en silence, attendant qu’elle reprenne le dessus.

- Ok… ooook, c’est bon… ouais, ça va.

Elle se réinstallait, son visage marqué par l’épreuve. Elle me tenait une sorte de langage alibi alors que je voyais bien que le trouble était encore présent. Je prenais du recul alors qu’elle finaliser sa phrase puis imperceptiblement je déclencher autour de nous le Silent World, j’attendais qu’elle s’arrête d’elle-même intriguée par la danse énigmatique des couleurs puis je murmurais.

- Ca ne sert pas qu’à l’invisibilité…quand je stresse et que je perds le contrôle…cet endroit me rassure. Le Silent World, un monde de gris, de bleu et de violet mais ce qui est amusant…c’est ce qu’on peut y faire.
Regarde vers la porte.

Une large tache de couleur apparue et je le fis varier de toutes la gamme chromatique en murmurant.

- Tu peux choisir une couleur si tu veux…ça sera la tienne…Tu aurais dû me dire que tu souffrais de symptômes post traumatiques, j’ai été franche sur mes crises, moi….
Maman le sait ou ça doit rester entre nous ?
Ce n’est pas une honte tu sais, c’est un combat…ca te rend plus…plus « humaine » à mes yeux de savoir que…que tu as aussi ce type de problème, tu m’avais dit pour le symbiote mais pas pour ça…Si je peux t’aider en quoi que ce soit…je…j’en serai heureuse.
Tu comptes beaucoup pour moi, Taz.

- Ca ne sert pas qu’à l’invisibilité…quand je stresse et que je perds le contrôle…cet endroit me rassure. Le Silent World, un monde de gris, de bleu et de violet mais ce qui est amusant…c’est ce qu’on peut y faire.
Regarde vers la porte.

… bon, vu que j’avais un peu de mal à me concentrer, je décidai de coopérer, tournant le regard vers la porte… qui était animée de couleurs chatoyantes qui valsaient de manière étrange et presque hypnotisante. Elle me proposa de choisir une couleur, qui serait la « mienne ». Hmh… Je n’avais pas vraiment de « couleur préférée », ni rien. En partie parce que je n’avais pas 5 ans, et aussi en partie parce que ça dépendait des moments, des usages, des contextes. J’aimais le noir pour les vêtements et une partie du maquillage. J’aimais les nuances de bleu foncé et de turquoise pour les vêtements. J’aimais le rouge sang ou rouge sombre pour les cheveux, le violet foncé aussi. Enfin, du coup…

- Tu peux choisir une couleur si tu veux…ça sera la tienne…
- Du vert, l’genre de gammes qu’on trouve dans une forêt tempérée.

C’était surtout le symbiote, qui aimerait ça, mais j’aimais bien aussi les milieux forestiers. Les forêts de chênes, de sapins, ce genre de trucs, surtout en fin d’été. Depuis quand n’avais-je pas pris une journée, ou même une semaine pour me planquer au fin fond d’un bois obscur et ne réfléchir à rien ? Un sacré moment, autant le dire… J’étais une citadine au fond de moi mais cela ne m’empêchait pas d’apprécier une retraite dans la nature de temps à autres. En fait ça me manquait un peu. Tout comme mes expéditions citadines nocturnes, en fait… New Heaven n’avait pas la même âme que New-York. NY pouvait changer radicalement d’identité, selon la période, la saison. L’été il faisait bien chaud, tout rayonnait de mille feux sous le soleil ardent qui frappait : les vitres des buildings en verre, l’acier des poutres et des voitures, les vitrines des magasins, … Et l’hiver tout devenait plutôt grisâtre, mais pas d’un grisâtre déprimant, c’était un gris duquel sortaient des couleurs vives et chatoyantes : l’écharpe d’un passant, une voiture un peu flashy, les néons d’une pizzeria, … Je ne retrouvais pas ces identités à New Heaven. Quant aux forêts environnantes, je ne pouvais pas les visiter sous peine de me faire chopper par le FBI. Connerie.

Du coup, voir un peu, de nouveau, ces gammes de couleurs pourraient me faire un peu de bien. Au symbiote aussi, du coup c’était 2 en 1. Ce fut alors que Jade reprit :

- Tu aurais dû me dire que tu souffrais de symptômes post traumatiques, j’ai été franche sur mes crises, moi….
Maman le sait ou ça doit rester entre nous ?
Ce n’est pas une honte tu sais, c’est un combat…ca te rend plus…plus « humaine » à mes yeux de savoir que…que tu as aussi ce type de problème, tu m’avais dit pour le symbiote mais pas pour ça…Si je peux t’aider en quoi que ce soit…je…j’en serai heureuse.
Tu comptes beaucoup pour moi, Taz.

Je soupirai, ne sachant pas trop quoi dire. Elle comptait aussi beaucoup pour moi, mais je n’avais pas vu l’intérêt de leur parler de ça. J’veux dire… Quand vous arrivez comme ça, chez les gens, vous ne faites pas une liste de tous vos problèmes psychiatriques, quoi. Genre « bonjour je voudrais un best of Big Mac s’il-vous-plaît, et ah au fait, je fais des pics de dépression à des intervalles irréguliers ». Bon, certes, Jade Ais et Ari étaient plus proches de moi qu’un vendeur de chez Mac Do mais… Je n’avais pas trop voulu leur foutre les jetons en débarquant, j’avais donc jugé préférable de garder ça pour moi. Cait’ était au courant de ces soucis, même si je n’en avais pas plus parlé que ça, je l’avais juste évoqué histoire qu’elle ne soit pas surprise si je me réveillais en pleine nuit.

- J’ai pas vu l’intérêt d’en parler, sur l’coup… Mais wais ta mère est au courant, des fois ça m’arrive en pleine nuit. J’ai fait pas mal de trous dans les murs d’chez moi à cause de ça… ‘fin t’en fais pas hein, c’rare que j’projette des épines dans les murs. Puis les murs d’ici sont plus épais… Donc ça d’vrait pas transpercer. Puis en plus vu l’orientation du lit… au pire ça va dans l’entrée.

Je finis par hausser les épaules.

- ‘fin j’doute qu’quiconque puisse faire grand-chose… C’qui est fait est fait, c’rien d’aut’qu’une conséquence. Forcément quand tu fends en deux des connards par paquets d’douze, au bout d’un moment y’a forcément un truc qui merde… ‘fin on s’en fout, c’t’ait pas l’sujet d’toutes façons.

Je me frottai le visage, avant de poser à nouveau le regard sur les couleurs qui coulaient tranquillement le long du mur et de la porte. Ce ne fut qu’après quelques secondes que je soupirai longuement et repris :

- J’me fie p’tet un peu trop à c’que les gens disent, wais… c’est p’tet en partie pac’que j’ai tendance à dire les choses direct. Bon, des fois ça plaît pas mais au moins on sait où j’en suis, quoi. J’suis pas ultra douée pour interpréter et lire ent’les lignes, disons… Mais pour la filiation, j’sais pas. ‘fin… pour moi ça n’a aucun intérêt, mais j’suis fille unique et j’ai pas d’enfants, biologiqu’ment parlant, donc p’tet que j’ai un avis biaisé. Bon, j’avais pas vraiment d’parents non plus, mais j’sais pas… J’veux dire… Ais’ est rousse, ok, c’est super, mais j’sais pas, elle fait pas un él’vage de Setters Irlandais ta mère, si ? L’fait qu’Aislinn soit rousse lui donne genre un bonus de 10 points ? Et en plus j’dis ça, mais y’en a, des points ? Puis tu pourrais êt’rousse, si tu voulais, eh. J’hésite à m’refaire une couleur, perso. Soit totale, soit des mèches pour alterner ent’noir et une aut’couleur… Mais c’t’une aut’histoire et on s’en fout. J’déconne avec c’t’histoire d’cheveux mais t’en fais pas j’vois c’que tu veux dire, hein…

Je haussai alors les épaules, ajoutant :

- Z’avez juste pas la même place, Ais’ et toi. Du peu qu’j’en ai vu, j’suis pas sûre qu’la place d’Ais’ soit « meilleure » ou « enviable » par rapport à la tienne. C’est juste qu’vous êtes ultra différentes… Sans déconner. Même si t’avais été la fille biologique de Cait’, j’pense qu’vous auriez eu des « places » r’lativ’ment similaires. Et j’dis ça, j’aime pas l’mot « place » pac’que c’est plus compliqué qu’ça, en plus… Mais wais. Même si t’étais rousse, j’pense que ça s’rait plus ou moins pareil, en raison d’vos différences.

Je précisai :

- Toi t’es un génie, tu t’rposes sur les faits, au point où parfois tu crois qu’tes émotions n’ont aucune influence sur c’que tu fais ou dis alors qu’c’est pas l’cas. Ais’ est maline, mais elle s’est faite manipuler par des prêtresses dès l’enfance donc elle s’en sortira jamais, d'ces croyantes. Ça veut pas dire que j’l’aime pas, ou moins, c’est juste… comme ça. On a tous nos défauts. Toi t’es chiante avec ton ménage. Et moi, mon défaut, c’est que j’suis tellement bonne que vous êtes toutes jalouses, mais j’y peux rien, finis-je en haussant les épaules, encore un peu secouée par le petit coup de flippe malgré tout. Mon regard était encore posé sur la porte et ses couleurs dansantes, d'ailleurs.