Learning To Live ( Cait-Kaya- Kailinn)

Dernière Semaine D'Aout 2016 - Centaurus Industrie.


- Non ça n’a rien à voir, je suis ici pour raisons strictement personnelles, Miss Payne n’a pas à ce que je sache manifesté le désir de se rapprocher du sort de l’économie de la cité, du moins à ce que je sache…vous devriez interroger le conseiller Cassidy à ce sujet. Je me demande quand même comment vous avez eu cette information…ce rendez-vous ne figure pas dans mon agenda professionnel ou plutôt pas dans celui de mes obligations concernant mon mandat…merci ça sera tout.

Caitlyn redressa ses lunettes de soleil sur la pointe de son nez et commença à faire demi-tour laissant ses interlocuteurs derrière elle mais l’un des journalistes l’apostropha à nouveau.

- Conseillère Oldfield, il parait que le temps est à l’orage entre vous et certains membres du conseil et…

- Et on dit que les journalistes vérifient leurs sources avant de se lancer dans de grandes diatribes à coup de « il parait » d’ailleurs. Interrompit sur un ton sec la rousse incendiaire avant de rajuster avec une attitude hautaine son tailleur

- Pas de commentaires sur la politique, je n’aime pas à me répéter, c’est une belle journée d’été ne venez pas la gâcher avec votre recherche puéril de scoop, vous devriez plutôt aller la plage…et pendant que j’y suis, je n’ai pas donné la permission pour les photos que vous venez de prendre de moi et ma compagne, dois-je vous rappeler les mesures prises par ceux protégés par la liste R ? Mais il se trouve que j’aime particulièrement ca tenue du jour….elle lui va bien et la rend sexy…merci de communiquer ces clichés au palais de justice. Bonne journée Messieurs, inutile de nous guetter à la sortie.

Et elle les planta là avec une sorte de sourire carnassier avant de rejoindre Kaya qui se tenait près de la porte du bâtiment à l’imposante architecture. Une fois qu’elle fut à ses côtés, elle souffla avec une sorte d’exaspération et d’ennuis.

- J’te jure…tu vois pourquoi ça m’gonfle, j’peux jamais faire un pas dehors sans me retrouver avec une armée de journalistes collées à la jupe. Il faudra aussi t’y habituer, VOILA pourquoi la Restricted List a été voté, ça serait juste l’enfer sinon…Et puis c’est vrai….j’aime les fesses que ça te fait ton bas…t’as d’la chance qu’on nous regarde encore sinon, j’aurai bien palpé tout ça…

Une fois dans le hall, Cait promenai son regard de manière circulaire tout en découvrant d’un air étonné le vaste espace qui s’offrait à elles.

- Wooooww….en tout cas, elle a les moyens de ses ambitions…c’est presque intimidant un tel espace…dire qu’elle n’y est presque jamais venue…j’me demande comment c’est dans son propre appart….Tu crois qu’elle a les même manies que notre Jade ? Les scientifiques sont tous toujours un peu timbrés…regarde Beast..Oh…oh…on est repérée, siffla Cait en indiquant d’un regard une petite délégation en approche.

Un homme avenant flanqué de quelques collaborateurs se dirigeait vers elles. Dynamique et franc armé d’un sourire ravageur il s’approcha pour accueillir les visiteurs et Cait lui répondit après un bref sourire.

- Bonjour, j’ai rendez-vous avec le Docteur Payne, voici ma compagne, le Docteur Spencer, nous sommes là au sujet de ma petite Jade…Jade Oldfield. C’est un magnifique bâtiment que vous avez là…vraiment…je suis bluffée. Combien de personnes travaillent ici ? Ne vous inquiétez pas…je ne suis pas ici en qualité de Conseillère à la Justice, mais en qualité d’une mère inquiète pour le bien être de sa petite fille.

Des journalistes. Plein de journalistes. Kay' se serait bien passée de ce genre d'attention mais moi, je les trouvais assez marrants. Ah, le cliché du journaliste des années 30 avec son chapeau, sa veste longue et son petit carnet de notes, en quête de vérités cachées à révéler aux citoyens de la ville... Il était révolu depuis bien longtemps, déjà. L'âge du numérique avait amené plein de progrès de dingue mais il avait aussi fait fortement régresser d'autres domaines. À moins que le journalisme n'ait toujours été médiocre, à l'exception de quelques cas, restés dans l'histoire ? Va savoir. Je ne suis pas philosophe de toutes façons, je suis juste un narrateur... Et je vous narre donc cette arrivée en grandes pompes de miss Oldfield et sa compagne. Deux personnages des plus intéressants.

Oldfield était en tailleur assez classique, un brin strict sur les bords, ça lui donnait un petit côté secrétaire cochonne sur les bords. Enfin, on pourrait avoir ce genre d'image si elle n'avait pas l'air aussi exaspérée... Même lorsque ses lunettes de soleil dissimulaient son regard, on pouvait quand même l'imaginer en train de lever les yeux au ciel ou d'afficher une mine dépitée. Quant à Spencer - en fait Kangee qui avait pris un nom d'emprunt, très bonne idée d'ailleurs - elle était égale à elle-même. Un drôle de personnage, intéressant. Elle portait une chemise noire dont les boutons supérieurs étaient détachés, laissant voir un léger décolleté, ainsi qu'un jean (noir aussi, bonjour la joie quoi) qui était plutôt serré au niveau des hanches et du fessier. Inhabituel. En général, elle préférait les vêtements plus amples et confortables, aurait-elle fait un effort pour voir la patronne de Jade ?

- J’te jure…tu vois pourquoi ça m’gonfle, j’peux jamais faire un pas dehors sans me retrouver avec une armée de journalistes collées à la jupe. Il faudra aussi t’y habituer, VOILA pourquoi la Restricted List a été voté, ça serait juste l’enfer sinon…Et puis c’est vrai….j’aime les fesses que ça te fait ton bas…t’as d’la chance qu’on nous regarde encore sinon, j’aurai bien palpé tout ça…

La brune afficha un petit sourire amusé, avant de répliquer :

- 'faudra attendre d'êt'rentrée ! Perso, j'aime pas l'concept d'la Restricted, mais j'comprends qu'elle existe... En fait si les journalistes f'saient leur boulot au lieu d'faire la course au buzz de merde basé sur une rumeur d'merde aussi, y'aurait pas b'soin d'Restricted List...

Une fois à l'intérieur, la rousse s'émerveilla face à l'espace du grand hall. En soi c'était compréhensible, l'architecte avait fait en sorte de rendre les lieux aussi imposants que possible - un peu comme un producteur de cinéma qui filme quelque chose en contre-plongée pour le faire paraître plus immense. Le bureau de la réception était à quelques mètres de la porte et juste derrière se trouvait une immense version du logo de Centaurus Aerospace. Derrière, une vingtaine de personnes était en train de s'affairer en ignorant totalement les nouvelles arrivantes. Certains avaient des blouses blanches, d'autres étaient juste en T-shirt, un avait une sorte de coupe punk et les cheveux verts, trois ou quatre étaient en costume-cravate, la secrétaire avait le côté de la tête rasé et des tresses de l'autre côté dans une étrange coupe asymétrique, bref... Il y avait un peu de tout et n'importe quoi.

- J'sais pas si elle a les manies d'Jade, mais j'ai lu un article qui dit qu'son appart' à NY est plus p'tit qu'le tien. Ha... Wais, merde, comité d'accueil.

Le comité en question était composé de Hunter, l'assistant de Kay' sans lequel elle ne pourrait pour ainsi dire rien faire ou presque, ainsi que deux personnes de la sécurité. Comme toujours, Hunter avait ce grand sourire charmeur et sincère à la fois. Je ne comprenais pas comment il faisait. Excès d'enthousiasme pathologique ? Ce n'était pas si mal que ça, comme maladie, au fond. Quoi qu'il en soit, il s'adressa aux deux arrivantes avec son habituel ton affable.


- Tout à fait, j'étais au courant de votre venue mesdames. Enchanté, je suis Hunter, l'assistant de miss Payne, répondit-il en tendant la main pour la serrer tranquillement. Je ne saurais vous dire combien de personnes travaillent ici, dans les 400 je dirais, je peux poser la question aux ressources humaines si vous le souhaitez. Cela dit... Il me semble que ces informations sont sur notre site, je vérifierai. Mais dans l'intervalle, si cela ne vous dérange pas, je vais laisser mes deux collègues de la sécurité vous créer vos badges temporaires ?

Les deux hommes se dirigèrent, en compagnie de tout le monde, vers le bureau du secrétariat. Après avoir rempli quelques papiers et fait signer d'autres trucs assez classiques aux deux femmes, ils finirent par leur tendre deux badges métalliques avec des tours de cou noirs assez standard. Aucun des deux ne dit un seul mot pendant l'opération, à croire qu'ils avaient fait voeu de silence ou un truc du genre. C'était quand même dingue, ça, que les mecs de la sécurité ne disent jamais rien et restent en mode "gros dur silencieux". Quoi, c'était la mode ou quelque chose du genre ? En attendant, une fois les badges obtenus, la troupe se dirigea vers les ascenseurs. L'un d'eux s'ouvrit, laissant sortir deux femmes en tenue de Guardian, qui vaquèrent à leurs occupations après avoir salué brièvement les deux types de la sécurité.

Ce ne fut qu'une fois à l'étage du bureau de Kaylinn que les deux types en costard finirent par lâcher la grappe de tout le monde, restant à côté de l'ascenseur. Hunter, de son côté, guida Caitlyn et Kaya vers le bureau avec son habituel air enthousiaste... Et au travers de la vitre, un étrange spectacle était visible. Kaylinn avait commencé un diagramme, qui ressemblait beaucoup à une sorte de réacteur ou de générateur ou un machin du genre, mais n'ayant pas assez de place sur son tableau... elle avait continué à gauche et à droite de celui-ci, dessinant directement sur les murs. Il y avait donc cette sorte d'immense dessin abscons, accompagné de notes en tous genres et de calculs bizarres, sur presque toute la longueur d'un des murs... Ce n'était pas la première fois que ça arrivait : elle avait même pris les devants et avait demandé à ce que ce mur-là soit facile à nettoyer, et ne comporte pas de papier peint ni rien qui puisse être tâché par un feutre. Bonne idée.

Hunter toqua à la porte avant d'entrer avec ses deux invitées. Kaylinn, elle, afficha une mine surprise.

- Oh? Déjà ? Enfin je veux dire, bonjour, entrez, mais il est euh...
- 16h00, miss Payne. Depuis combien de temps êtes-vous là-dessus ?
- Euh, depuis que je suis arrivée.
- Mais à quelle heure êtes-vous arrivée ?
- Je ne sais pas, à quelle heure êtes-VOUS arrivé ?
- 7h30, vous étiez déjà là.
- Ah... Donc je suis dessus depuis à peu près avant 7h30.
- Avez-vous mangé ?
- Je ne sais plus... non.
- Voulez-vous que je vous monte quelque chose à manger et boire, mesdames ? demanda-t-il alors aux trois.
- Totalement ! répondit alors Kaya sans réfléchir.
- Euh... Oui, merci.

Hunter quitta alors la pièce, Kaylinn restant silencieuse une seconde avec une mine un peu perdue, avant de finalement reprendre un peu de consistance et d'adresser un large sourire rayonnant à ses deux visiteuses.

- Désolée ! Il y a... fort à faire, j'ai un peu perdu la notion du temps. Installez-vous je vous en prie, dit-elle en montrant le petit bureau autour duquel se trouvaient quatre chaises. J'imagine que vous avez un paquet de questions à poser concernant... pas mal de choses, ce qui est assez normal en fait.

Clairement, elle ne semblait pas avoir énormément dormi, ces dernières semaines. Le fait qu'il y ait un petit peu de poussière sur son classique trenchcoat noir, pendu au porte-manteaux, semblait même montrer qu'elle était restée sur place pendant deux jours, voire plus...

- J'te laisse ouvrir, lança alors Kaya à la rousse, après s'être installée confortablement.

Je me pliais volontiers aux formalités d’usage concernant la sécurité du bâtiment. Après tout, ce dernier était avant tout un lieu de recherche et l’espionnage industriel force à une traçabilité lourde dès qu’il s’agit d’une visite, encore plus si les personnes sont des personnalités d’un certain renom. Tout en signant les documents, je me fis une fois de plus la réflexion étrange que je ne me serai jamais vu, quinze ans plus tôt dans une telle situation. La destinée avait joué une sacrée partie de Ping pong avec ma vie et m’avait fait m’échouer là où je ne me serais jamais réellement imaginé, embourbée dans une tonne de paperasse et avec une telle dose de responsabilité, moi qui détestais toujours à mon age, le moment du choix cornélien de savoir quels vêtements extraire de ma garde-robe chaque matin…
Alors que je suivais distraitement l’enjôleur de service qui vu sa pétillante improbable devait carburer à la coke ou un truc du genre pour être d’aussi joviale compagnie, je laissais fureter mon regard sur le décorum et les bureaux entrouverts croisant ma route pour mettre à profit cette vérité : on en apprend toujours bien plus sur ce que l’on constate par soi-même que sur ce qui nous est à montrer : tout est question de détails. Le langage alibi était plaisant, je me laissais aller à une réflexion en lançant un regard complice à ma compagne.

- En tout cas, vos espaces sont très propres. Dieu sait que c’est capital pour certaines personnes d’évoluer dans un endroit qu’elles jugent « sains » !

En parlant de détails qui ont leur importance, la suite fut assez révélatrice. Un échange des plus édifiants entre ce que je pensais n’être qu’un grouillot de service mais qui se révéler être une sorte de nounou de substitution pour le bien-être et la « sauvegarde » de la maitresse des lieux. Voilà exactement le type de comportement « déviant » qui m’inquiétait pour ma fille et si déjà sa « patronne » n’était pas capable de refreiner ses propres exagérations, autant dire que lui confier l’oisillon pour lui apprendre à voler me refroidissait totalement. Cela du se voir car lorsqu’elle prit la parole, mon sourire sonnait bien faux à ceux qui me connaissait bien et la façon droite et tendue de ma posture sur la chaise trahissait certainement une complexe contrariété. Elle m’invitait à m’épancher mais à dire vrai, seul un sujet habitait mon esprit, encore plus à présent : comment faire confiance à cette personne qui n’était visiblement pas capable de s’occuper déjà d’elle-même ? Kaya m’invita à débuter les hostilités, je ne voyais pas cela comme un combat mais il me faudrait faire beaucoup plus preuve de tact que je ne l’aurais cru au départ. Je marquais un silence comme si je cherchais par où attaquer cette montagne d’inquiétude.

- Tout d’abord, je vous remercie de ce temps que vous m’accordez, je crois comprendre qu’il est effectivement précieux. En toute honnêteté, je ne vous connais pas…bien sûr Jade m’a souvent parlé de vous, elle voit en vos recherches et votre réussite un modèle à suivre du haut de ses…trop jeunes…nombre d’années. Ma famille est ce que j’ai de plus précieux au monde et je ferais tout pour la protéger, c’est pourquoi je vous parlerais sans détours….Je ne connais rien de vos travaux, ni de votre passif…je pourrais. Ça serait chose facile dans ma position, j’ai les clés qui ouvrent certaines portent et les contacts qu’il faut pour en savoir beaucoup. J’ai deux raisons de ne pas le faire. Tout d’abord, je vous respecte en tant qu’ancienne combattante…nous avons été toutes les deux confrontées au même adversaire, moi sur la première ligne, vous sur la seconde. Nous ne nous sommes pas croisés non…mais vous avez-vous aussi payé un lourd tribu au prix du sang. Même si le temps a passé, vous restez ma sœur d’arme, même si ce fut pour quelques heures…ces heures ont changé la face du monde. La seconde raison, vous la connaissez déjà, c’est Jade. Jade vous fait confiance, elle porte souvent ses idées, ses croyances et ses résolutions lourdes comme des armes en elle. Elle vous fait confiance et j’ai confiance en ma fille, cela implique que malgré mes peurs et mes craintes je DOIS vous faire confiance.
Je suis ici avec ma compagne, comme vous le voyez parce que…parce que je suis trop à l’écoute de mes émotions sur certains sujets me touchant et qu’elle peut garder un esprit pragmatique et scientifique…Je me fiche de ce que vous voulez faire…coloniser des mondes…quitter la planète, suivre une utopie. Contrairement à vous, moi j’ai décidé de me battre pour ceux qui restent…tous ceux qui restent, bons ou mauvais. C’est votre choix et je le respecte, c’est aussi celui de ma fille…ça m’attriste mais je l’aime trop pour lui imposer MA vérité. Je n’ai pas personnellement de questions sur votre projet, c’est votre choix à toutes les deux….je ne mettrais des bâtons dans les roues que si il menace la sécurité de ceux qui veulent vivre en paix, ici.
Mes questions concernent uniquement le bien être de ma fille…et sa sécurité ici. Vous l’avez dit…vous jugez qu’il y a beaucoup à faire et que le temps vous échappe…je refuse que Jade finisse par laisser s’écouler sa vie dans une obsession, elle s’est déjà mise en danger durant ces deux derniers mois…ca ne DOIT plus arriver. Nous parlons d’une jeune fille, elle doit vivre sa vie, sa vie ne peut être exclusivement tournée vers le ciel nocturne, même si les étoiles sont belles, Miss Payne.

À la mention du fait que les lieux soient aussi clean, Hunter afficha son éternel large sourire enthousiaste, comme si tout et n’importe quoi le rendait super ravi. Et en fait, tout et n’importe quoi le rendait ravi, concrètement. Kaylinn ne savait pas si c’était dû à son enfance, à sa mutation, ou à autre chose, mais il avait toujours été comme ça. Depuis qu’elle l’avait recruté. Il s’était juste pointé à l’entrée des bureaux de New York, à tout juste 19 ans, avec un grand sourire, déclarant qu’il voulait la place d’assistant. Dans un sens, Kay’ avait un peu l’impression de voir une sorte de chevalier des anciens temps, dont la seule satisfaction était de servir « le roi » ou une grande cause comme Dieu ou le Graal ou va savoir quoi d’autre. Elle lui avait proposé plusieurs promotions d’ailleurs, au fil des années : il avait suffisamment de compétences pour briguer des postes plus « élevés » dans la hiérarchie… Mais non, il n’en avait jamais voulu. Il n’était pas non plus amoureux d’elle donc ce motif pouvait être retiré… Du coup, son côté ultra enthousiaste et chevaleresque était difficile à comprendre pour la majorité des gens, y compris sa propre patronne.
 
Quoi qu’il en soit, les trois demoiselles étaient désormais installées, prêtes pour leur « réunion au sommet ». Une des femmes les plus influentes du monde financier et technologique, une des femmes les plus puissantes de New Heaven (qu’elle veuille bien l’admettre ou non), et euh… une sorte de punk avec un doctorat. La rousse commença avec… les platitudes habituelles. Merci de votre temps, blablabla… Bon d’un autre côté, en tant que narrateur, je ne peux pas lui en vouloir : elle ne savait pas que Kay’ n’avait pas grand-chose à faire de tout ça. Que quelqu’un lui dise « Bonjour, je vous souhaite une agréable journée et vie, que mille pétales de roses s’étalent sur votre chemin ensoleillé ! Auriez-vous l’immense amabilité et générosité de bien vouloir, si cela ne vous dérange pas, m’indiquer l’heure mais sans vouloir vous commander ? » ou lui dise « yo, z’avez l’heure ? », c’était pareil, pour elle.
 
Mais donc, la rousse partit ensuite sur Jade, qui avait une très haute opinion de la mère Kaylinn. C’était un sujet d’inquiétude pour elle, en fait. Kay’ voulait qu’une idée soit suivie plus qu’une personne. Elle n’aimait pas les cultes de la personnalité et elle voulait à tout prix éviter qu’il n’y en ait un autour d’elle, sous quelque forme que ce soit… C’était en partie pour cela qu’elle restait assez loin des médias. En attendant, Caitlyn parlait du fait qu’elles soient toutes les deux des anciennes combattantes, ayant payé « le prix du sang ». À ces mots, la directrice plia légèrement son poignet mécanique, observant les doigts en fibre de carbone pendant quelques instants avec une mine pensive, avant de finalement revenir à son interlocutrice. Celle-ci déclarait « devoir » lui faire confiance… C’était toujours ça de pris.
 
En attendant, elle finit par en venir aux faits : elle ne voulait pas que Jade ne se ruine la vie et la santé en bossant 24h/24 toute sa vie. C’était une inquiétude de mère. Il y avait plusieurs écoles de pensée, à ce niveau-là. Certains diraient « si mon enfant doit ruiner sa vie mais qu’en le faisant il sauve toute l’humanité, cela en vaut la peine », et d’autres diraient « peu importe si l’humanité disparaît, je préfère que mon enfant vive sa vie pleinement ». Kaylinn était, comme toujours, assez mitigée à cette idée. Elle avait fait son choix, à elle, mais refusait qu’il n’affecte trop les autres. Après quelques secondes de silence, elle soupira et prit la parole à son tour :
 
- Quand votre fille est venue ici… Je pensais qu’il s’agissait d’une idéaliste, maline mais jeune et sûrement trop confiante. J’en ai vu beaucoup, des jeunes diplômés qui pensent qu’ils ont la solution à tous les maux du monde, alors qu’il y a des dizaines d’erreurs de raisonnement, de biais de confirmation et de calculs grossiers. Cela ne veut pas dire qu’ils sont idiots ou mauvais, juste jeunes et manquant de recul. Jade m’a dit qu’elle avait une idée, qui était intéressante d’ailleurs, et qu’elle pourrait me livrer un modèle mathématique dans les deux mois.
 
Kaylinn secoua la tête avec un petit sourire, mi-amusé mi-triste.
 
- Je m’attendais à, je ne sais pas, cinq ou six pages avec des concepts de base. À la place, elle m’a ramené une preuve mathématique complète qui pourrait être tout aussi importante le théorème de Noether ou la relativité générale. Mais j’ai vu son état, aussi… Extrêmement irritable, confuse, manquant de sommeil, elle semblait avoir perdu quelques kilos, c’était inquiétant… Inquiétant, pour moi qui la connaissait tout juste, donc j’imagine bien pour vous en tant que mère.
- En gros elle s’est enfermée dans sa chambre 2 mois et elle a bouffé, euh… à l’occase, en gros.
- C’était ce que je craignais, oui. C’est pour cela que je lui ai demandé de voir avec vous miss Oldfield, pour la suite des événements, j’espérais que vous pourriez tempérer un peu ses ardeurs. Je la comprends, vous savez, mais je ne veux pas qu’elle suive le même chemin que moi. À vrai dire je ne souhaite que personne ne le fasse.
 
La directrice montra les diagrammes sur les murs, expliquant :
 
- Ce travail, je le fais pour que ni Jade ni personne d’autre n’ait à le faire. J’ai fait le choix, conscient, quand je me suis réveillée du coma après le Big Day, de mettre mon existence en suspens pour ce projet. Je n’ai pas creusé mais… j’ai découvert de nombreux indices, circonstanciels, mais semblant montrer qu’Ultimate serait bien plus qu’une simple expérience ratée. En règle générale je ne me fie qu’à des preuves fiables, concrètes, scientifiques, mais j’ai la sensation que creuser plus pourrait porter préjudice à tout le projet – je n’ai donc pas approfondi, mais j’ai la sensation que des personnes bien plus puissantes et bien moins humanistes que moi tirent des ficelles douteuses en arrière-boutique.
 
Posant à nouveau son regard sur les deux mutantes, elle reprit :
 
- C’est ce jour-là que j’ai compris que je devais changer de stratégie… Au départ, avant Ultimate, l’idée que j’avais était d’éliminer ce qui créé la majorité des guerres et des violences dans la société humaine, au fil du temps. Les racismes, les nationalismes, l’avidité et l’appât du gain à l’extrême, … la majorité de ces comportements ne sont pas génétiques, ils sont enseignés aux enfants et aux adolescents qui deviennent alors des adultes mauvais, malhonnêtes, agressifs, ou violents. Ils deviennent des lobbyistes, des politiciens, des criminels, des membres du KKK ou que sais-je encore… Mon plan était établi sur en gros 6 siècles. C’était le temps que j’estimais nécessaire pour, progressivement et lentement, faire en sorte que ces notions disparaissent.
 
Elle leva alors la main, précisant :
 
- Je savais que je ne le verrais pas de mon vivant mais j’aurais lancé le mouvement. L’idée était de ne lancer la conquête spatiale qu’une fois ce changement fait. Envoyer l’humanité dans l’espace et lui donner les moyens de conquérir la galaxie alors qu’il reste encore autant de stupidité, de haine profonde, de violence gratuite et sans intérêt ? C’était hors de question. Du coup… Découvrir la solution du vol spatial plus rapide que la lumière n’était pas une urgence. Je m’efforçais de faire ce que je pouvais par l’intermédiaire des biens de consommation : batteries, téléphones, satellites high-tech, et autres, tout en mettant en avant des valeurs de transparence et de tolérance. L’idée était d’associer ces idées à ces produits, ce qui est une politique qui a fonctionné plutôt bien dans l’histoire. Sauf que… Ultimate est arrivé.  
 
Soupirant longuement, elle baissa le regard, l’air préoccupée.
 
- Subitement, nous n’avions plus 600 ans. L’humanité était menacée de façon directe… Il y avait littéralement un compte à rebours avant la disparition de l’humanité entière. Il a été interrompu, mais de peu et au prix de sacrifices monstrueux… Et si un autre Ultimate arrivait, il est fort possible qu’on ne parvienne jamais à l’arrêter. Qu’il mette fin à toute vie humaine sur Terre.
- D’où vot’nouveau projet…
- Précisément. Quand j’ai découvert qu’il y avait – très probablement – des personnes en coulisses qui pouvaient faire sortir un autre Ultimate de leur chapeau, j’ai compris que je n’aurais pas 600 ans. Il fallait partir, maintenant, tout de suite. Mais le souci que j’avais au départ restait entier : il n’est pas question d’exporter le pire de l’humanité et de le répandre dans l’univers. Ces horreurs, le racisme, la religion, la superstition, la haine des mutants, la haine des autres cultures, l’envie de gagner toujours plus d’argent quitte à détruire la nature au passage, l’esclavagisme, le sentiment de supériorité de certaines classes, … tout ça DOIT rester sur Terre et ne doit jamais la quitter.
- Alors c’vraiment super et j'suis pas sarcastique en plus, hein... Mais ça nous dit pas c’qu’il en est d’Jade en fait.
 
La PDG releva la tête avant d’acquiescer avec un air désolé.
 
- Oui, navrée, j’ai dérivé. Tout ça pour dire que… ce projet est d’une importance qui me semble capitale, et bien plus important que ma propre vie sociale. J’ai volontairement fait une croix dessus. Personne ne m’attendra jamais à la maison et en soi, ça ne me pose pas de problème car c’est un choix conscient et réfléchi que j’ai fait. Mais, et on en arrive à Jade, je ne souhaite pas que quelqu’un d’autre doive faire ce choix. Jade est… un génie qui a apporté une clé majeure à ce projet mais elle n’a pas besoin de faire ce sacrifice. Ce n’est pas du tout nécessaire. Elle peut très bien apporter des milliers de pierres majeures à cet édifice sans devoir pour autant passer ses nuits dans les labos. Le problème est que je ne suis pas sûre de comment lui faire comprendre cela… Je comprends quelques traits de sa personnalité et je la comprends au sens mathématique et scientifique, mais je ne la connais pas encore assez pour pouvoir l’appréhender correctement. J’espérais donc que vous pourriez me donner des pistes à ce sujet…
- Elle a ell’même r'connu qu’elle avait déconné, ces 2 derniers mois, c’est d’jà un bon départ.
- Peut-être mais qu’est-ce-qui l’empêcherait de s’enfermer, à nouveau, sous l’effet de la passion, sans même s’en rendre compte ? C’est ça, avant tout, que je voudrais éviter.

J’avais appris à écouter, non pas parce que c’était important mais parce que c’était une attitude de communication. On pourrait rapprocher cette attitude de la méthode de programmation neurolinguistique mais c’était une attitude factice pour quelqu’un d’aussi impulsif que moi, j’avais dû apprendre, la faute à la politique comme d’habitude. Le fait que je me rapproche de la quarantaine n’y change rien, je pouvais toujours parfois réagir comme une gamine, j’avais appris à cloisonner et faire plus attention, surtout face à quelqu’un d’aussi intelligent que cette fameuse doctoresse.
Jade, idéaliste ? Mon dieu comme elle l’avait mal cerné, ce n’était vraiment pas sa tasse de thé. Mais peut-être fallait-il redéfinir le sens de d’idéalisme. Moi, j’en étais une, peut être que Kaya aussi au fond mais certainement pas Jade et son égocentrisme si…noir de réalisme. Quant à sa confiance si affichée…ça c’était sa marque de fabrique qui la rendait souvent si…impossible à côtoyer. Elle avait développé un complexe de supériorité au fil des années, jugeant souvent ses contemporains comme méprisables, imbéciles et forcément peu pertinents pour son propre bien être. C’était un réel problème mais moins que ce qu’elle me révéla ensuite : « extrêmement irritable ? » …Je me renfrognais…bien il faudrait qu’on s’explique…j’espère qu’elle ne pas trop caché de choses du genre…une crise de colère. J’exige la vérité de mes enfants quand leur bien-être est en question. La suite me laissa perplexe : Payne ne voulait pas être un modèle ? Ah bon ? Amusant qu’elle se voile la face ainsi sur les liens unissant les êtres.
Son explication sur Ultimate faillit arrêter mes battements de cœur, je ne l’aurais pas cru si proche d’un début de vérité. Supposait-elle que tous ces efforts n’étaient qu’une tentative de trouver une échappatoire à quelque chose de plus radicale ? Peut-être bien, oui… le contact direct avec Ultimate nous a appris l’impuissance…personne n’est sorti indemne de cette rencontre, psychologiquement parlant.

En tout cas ce qu’elle disait me plongeait dans un abime de réflexion, mon regard très sérieux reflétait une absence introspective. Ses idées n’avaient rien d’utopistes à dire vraie, c’était logique…un chemin qui n’était pas le mien mais devenait encore plus évident à notre niveau d’information à Kaya et moi. Mais pour d’autres ? Oui, cette entreprise était VRAIMENT risquée pour Payne et elle ne s’en rendait même pas compte. Si son projet était exposé ainsi et si les avancées technologiques suivaient comme Jade me l’avait évoqué de manière fuyante alors Kaylinn Payne était VRAIMENT en danger, et pas seulement pour les projets de Kreele. Elle n’avait même pas idée d’à quel point. Kaya recentra avec son doigté naturel la conversation alors que je ne montrais plus qu’inquiétudes. Son discours se termina sur une question ouverte dont apparemment je devais avoir la réponse. Le silence s’installa alors jusqu’à ce que je me rende compte que les deux doctoresses me scrutaient l’air un peu surprise de mon long recul silencieux. Je rougis légèrement, bougeant sur ma chaise un instant.

- Pardon…excusez-moi…j’étais…perdue dans mes pensées. Je…euh…je n’ai pas la réponse à votre question…pour dire la vérité, vous me surprenez. Je..nous ne sommes pas autorisé, ni le Docteur Spencer, ni moi à en dire plus mais sachez que vos craintes sont fondées…sur l’arrière-boutique. Je vous conjure de ne pas chercher à pousser plus loin vos investigations et surtout ne pas vous exprimez ainsi aussi…librement…devant d’autres membres du pouvoir à New Heaven ou même…à Washington. Des oreilles moins innocentes pourraient s’intéresser sérieusement à vos travaux…et pas dans un but aussi..altruiste et salutaire. Faites attention, Miss Payne…faites réellement attention, je vous en conjure. Je ne répèterais pas devant témoins ce que je m’apprête à dire mais…il est possible un jour, que votre vision reste la seule option qu’il reste, vous devez faire en sorte de garder la main sur votre programme, par tous les moyens possibles Je suppose que vous avez une armée d’avocats mais vous aurez à présent l’appui discret de la conseillère de la justice…tant que je le suis encore…et pas seulement pour Jade…

Je soupirais, troublée par une situation que je n’avais pas voulu pour Jade.

- Docteur Payne…vous ne pouvez pas blâmer Jade de vous voir comme un modèle, ce n’est pas vous qui choisissez. On ne se décrète pas modèle, le choix n’est pas dans votre camp.

Je jetais un sourire amusé à l’intention de Kaya.

- Elle s’en défendra bien sûr, mais il y a une dizaine d’années, cette grande crétine me voyait aussi comme un modèle à l’époque où j’étais son mentor X -Men et je détestais cela…moi aussi. Mais le temps m’a appris qu’il faut une base. Pour modeler ensuite sa propre personnalité. Vous avez influencé Jade, comme je l’ai fait en tant que mère. C’est une responsabilité que vous n’avez pas voulu, je l’entends bien…mais elle existe. Il va falloir l’accepter jusqu’à ce qu’un jour, elle vous remette à votre place en disant « ça sera comme ça ou rien »…croyez-moi….ça fait tout drôle. Ce jour-là, vous ne pourrez pas vous empêcher d’être à la fois exaspérée et satisfaite de l’avoir aidé à devenir ce qu’elle est. Pour les dérives de Jade…elle a un dossier médical, j’aimerai que vous le consultiez pour comprendre ce qu’elle est au-delà de ce qui est visible…nous pouvons lui mettre des garde fous, si nous avons l’intelligence d’avancer toutes les deux dans la même direction et de parler avec une même voix….vous me comprenez ? Il ne suffira pas dire « c’est parce que ta mère le veut » mais « c’est parce que c’est dans TON intérêt ». C’est ça la partie la plus difficile du job de mentor. Jade vous a choisi…je veux vous choisir aussi.

Alors ? Qu'aurait à dire la mère supérieure de toute cette histoire ? Personnellement, pour l'instant en tout cas, mon avis n'avait pas plus changé que ça au sujet du "grand projet" de miss Payne, ni au sujet des implications potentielles pour Jade. Son projet avait du sens et j'y voyais des questions philosophiques bien trop compliquées pour ma petite tête donc je n'avais pas grand chose à redire. Mais pour Jade... La question qu'elle venait de poser à la rousse était, pour moi en tout cas, la raison principale de notre venue. Mais l'esprit de la belle rousse semblait... ailleurs. Elle se dandina d'ailleurs un peu sur sa chaise quand elle réalisa qu'on lui parlait, affirmant qu'elle était un peu perdue dans ses pensées. Ben tiens ! Malgré tout elle reprit un peu de consistance, affirmant à la PDG qu'elle n'était pas si loin que ça de la réalité et qu'il valait mieux ne pas creuser outre mesure. Hmmm... Je connaissais ce genre de personnage. Pour le meilleur ou pour le pire, s'ils voulaient faire quelque chose, ils le faisaient. Elle affirmait ne pas vouloir creuser, donc je doutais qu'elle se mette à trop fouiller... Mais si un jour elle décidait de changer d'avis, je doutais fort que quelqu'un puisse lui faire changer d'avis.

Cela augmentait encore le poids de la responsabilité que l'on portait avec Cait', et ceux au courant de l'origine réelle d'Ultimate. Si nous ne parvenions pas à trouver un moyen de juguler ce danger, il risquerait de se répandre et d'impliquer beaucoup de monde... Payne se mettrait à fouiller et creuser et elle se retrouverait avec la main prise dans l'engrenage. En attendant, quand Cait' se mit à l'en "conjurer", la brune cybernétique se contenta de hocher la tête en signe d'assentiment, ajoutant :

- Ne vous faites aucune inquiétude, comme je le disais, je ne compte pas creuser... Pour la sécurité du projet, il est nécessaire que toute cette affaire reste au moins partiellement dans l'ombre.
- C'la meilleure décision, vous pouvez m'croire... répondis-je d'un ton maussade.

J'étais une vraie obsédée de la vérité, je voulais toujours tout savoir, comment tout fonctionnait et tournait. Mais là... Pour une fois, peut-être la première de ma vie, j'encourageais quelqu'un à rester dans l'ignorance. C'était dire si la situation était complexe. C'était quand même dingue, la vie. Quand j'étais gamine, je m'imaginais que je serais une de ces adultes barbantes, avec un mari et 2 gosses et une existence sans vraie saveur. A l'adolescence, je pensais que je serais devenue une sorte de baronne des gangs ou un truc du genre, crainte et respectée. A l'institut, je pensais que je deviendrais une X-woman connue et respectée, protégeant l'innocent alors que le racisme anti-mutant disparaîtrait progressivement. Et à la place... J'étais dans une sorte de ville à moitié dystopique, plongée dans une histoire presque de roman impliquant d'obscures cabales complotistes. Ah, et je m'envoyais en l'air avec mon ancienne prof'. Comme quoi... L'avenir est vraiment imprévisible.

- Merci de votre appui, dans tous les cas. Et de votre confiance, malgré le fait que vous ayez pour l'instant peu de raisons de croire mes bonnes intentions.

Cait' revint alors à Jade. Selon elle... être un modèle n'était pas un choix. Je pouvais toutefois comprendre le problème rencontré par la directrice, évidemment... C'était une énorme responsabilité et quelque part, une partie de moi espérait qu'aucune des filles ne s'inspire de moi pour quoi que ce soit... D'une part parce que j'avais fait des choix douteux mais aussi parce qu'en cas d'échec, la responsabilité de cet échec serait la leur et non la mienne. C'était peut-être lâche, mais j'en étais consciente au moins... En attendant, Cait' lança qu'à l'époque, je la voyais comme un modèle. Je levai les yeux au ciel en soupirant, faisant genre que ce n'était pas vrai. Et en fait, ce n'était pas entièrement vrai. Caitlyn représentait aussi, pour moi, à l'époque, une forme de réussite à atteindre. Passer de gamine turbulente et perturbée, rejetée par la société, à une X-woman puissante, respectée, intelligente, dans un couple idéal ? J'aurais bien voulu suivre ce chemin. Bien évidemment, avec l'âge, je me rendis compte du fait que ma vision était déformée.

C'était tout le problème des modèles : on s'en fait une vision idéalisée. Cait' avait eu beaucoup de mal à devenir une X-woman, l'était devenue par un chemin complexe et parfois douloureux, elle était puissante mais maîtrisait mal une bonne partie de sa puissance, était respectée mais pas par tout le monde, et son couple n'était pas aussi idéal qu'il en avait l'air, de l'extérieur. De la même manière... De l'extérieur, Kaylinn Payne était riche, respectée, puissante, influente, avait un projet d'avenir ambitieux et grandiose, était extrêmement appréciée par le public, ... mais ce qu'elle avait dit plus tôt sur son absence de vie personnelle me laissait penser que sa vie n'était peut-être pas si rose qu'on ne pourrait le penser. En fait, dans sa façon de le formuler... J'avais la sensation que même si elle assumait son choix, elle ne le vivait pas aussi bien qu'elle ne voulait le dire.

- Mentor... Elle soupira longuement avant de répondre : J'ai toujours fait en sorte d'afficher un comportement aussi exemplaire que possible, non pas pour devenir un exemple mais pour que ce comportement devienne un exemple. La transparence, l'absence d'appât acharné du gain pour le gain, être prête à sacrifier des profits pour le bien commun, je voulais que ces valeurs inspirent une nouvelle génération de génies, d'entrepreneurs, d'investisseurs, de rêveurs, et ainsi de suite. Je voulais que CES VALEURS les inspirent, pas moi en tant que personne... J'imagine qu'on ne peut jamais vraiment prévoir les conséquences de ses actes, finit-elle avec un sourire triste.
- L'fait est qu'la situation est là... Z'êtes une pragmatique, nan ? Réfléchir à c'que la situation POURRAIT être, ça sert pas à grand chose pour l'coup. C'qu'y faut c'est réfléchir à la situation telle qu'elle est et à comment l'appréhender, c'tout. 'fin... dit comme ça a l'air facile, j'sais bien qu'ça n'l'est pas.
- Non, je vois où vous voulez en venir.
- Maint'nant, vous avez un statut, c'lui d'idole de Jade. C'con mais c'est la vie. Vous pouvez soit nier c'statut et perd'le contrôle d'la situation, rej'ter c'statut et lui montrer qu'vous êtes bien plus affectée par vot'choix que vous voulez bien l'dire, ou utiliser c'statut pour canaliser l'énergie d'Jade sans que ça n'détruise l'reste de son existence.
- Faux dilemme... marmonna-t-elle.
- C'vrai, y'a p'tet d'aut'z'options mais là j'les vois pas. Si vous les trouvez vous pourrez y réfléchir mais dans l'cas présent, ne s'rait-il pas plus productif d'utiliser c'statut qu'vous avez pour aider Jade à aller d'l'avant sans s'auto-détruire dans l'intervalle ?

La grande brune se mit à jouer un peu avec l'index et le majeur de sa main mécanique, l'air pensive. Clairement, elle m'avait l'air bien plus douée en maths qu'en gestion des gamines de 18 piges ! Mais j'devais l'admettre, gérer Jade n'était pas c'qu'il y avait d'plus simple. Elle était spéciale, ce qui demandait de revoir nos instincts d'base et d'improviser différemment. Elle serait forcée de micro-manager Jade, là où la plupart des PDGs se contentaient de faire de la stratégie générale de haut-niveau et laisser l'exécution à leurs subordonnés. Mais en voyant les griffonnages qu'il y avait sur les murs... Quelque chose me disait qu'elle n'aurait pas tant de mal que ça à gérer la situation.

- Peut-être... Concernant son dossier médical je ne suis pas sûre qu'il soit très éthique de la part d'un employeur de le consulter. Enfin... Je sais que ça se fait beaucoup dans la plupart des entreprises depuis quelques années mais j'ai donné pour consigne générale de ne pas le faire : le premier RH que je prends à faire ça il est dégagé sans préavis. Je me vois donc mal faire ce que j'ai justement interdit avec autant d'insistance... Mais pour ce qui est de l'intérêt de Jade, c'est un intérêt que nous avons en commun, finit-elle en hochant doucement la tête.

Je la vis alors soupirer, l'air d'hésiter. Elle avait la tête de quelqu'un qui hésite à dire un truc important, ou important pour elle...

- La vérité miss Oldfield... commença-t-elle finalement, c'est que je peux prendre en charge des groupes de personnes sans problème mais je ne suis pas en mesure de gérer des individus. C'est aussi pour cela que je n'ai pas cherché plus que cela à être mère, j'en serais tout simplement incapable. Grâce à la sociologie et à la psychologie il est facile de comprendre des groupes, même complexes, de les aider, et de les orienter. Mais les individus ? Les règles générales ne s'appliquent plus, quand on ne prend qu'une ou deux personnes. Et elles s'appliquent encore moins avec Jade, ce qui signifie que chaque décision prise devra être une forme totale d'improvisation plus ou moins foireuse et pouvant avoir des conséquences plus que négatives sur elle... C'est comme ça que des tonnes de parents niquent le cerveau de leurs gamins, ils se disent "oh l'instinct maternel ou paternel suffira" et ils agissent sans réfléchir au bien-être de leur progéniture, et sans tenir compte des éléments importants... Je n'ai pas cette compétence, alors comment au juste pourrais-je aider Jade ? finit-elle avec un air un peu perdu. Quelque chose me disait qu'elle ne laissait pas beaucoup de monde voir cette expression.

- En essayant tout simplement parfois de la comprendre et surtout en lui offrant du temps et de l’écoute.

Répondis-je dans un murmure avant de laisser à nouveau le silence retomber dans la pièce une petite minute. Reprenant ma respiration, je repris dans un demi-souffle d’une voix à la fois maternante et chargée de nostalgie.

- J’insiste pour le dossier médical, la compréhension d’une personne passe toujours par la connaissance de ce qu’il est capable de faire de pire. Vous voulez éviter le maximum d’improviser alors c’est mon devoir de vous mâcher le travail en vous apportant des faits…pas des supputations, des théories ou des perspectives mais des faits sur lesquelles on peut établir des diagnostiques. Ma fille est un génie, c’est indéniable mais elle reste fragile et dangereuse dans son comportement social, elle exige une présence et une confiance, c’est pour cela qu’elle porte si fort en elle « vos croyance » pas parce qu’elle est sous votre charme mais parce qu’elle est profondément convaincue que vous avez raison, c’est cette conviction qui vous érige en modèle pas votre personnalité ou vous action. Vous savez, même si je ne partage pas votre point de vue, je suis assez ouverte pour le comprendre et surtout pour comprendre le mécanisme qui a conduit Jade à vous choisir, je l’ai fait jadis pour Ororo Munroe, sa foi a réveillé la mienne et je me suis construit grâce à elle, c’est cela un mentor…c’est du moins comme ça que je le vois et ça n’a rien à voir avec l’amour maternel ou ce genre de chose…c’est autre chose cela…c’est beaucoup plus compliqué d’être mère parce que l’affect entache toutes vos décisions, croyez moi.

Je secouais un instant la tête d’un air blasé avant de reprendre un peu plus amère.

- Ce n’est pas une seconde mère que Jade recherche, sans vouloir vous froisser, celle qui s’est improvisé comme telle il y a des année lui casse bien assez les oreilles comme ça mais là où moi je l’enverrai chier lorsqu’elle buttera sur une difficulté d’ordre scientifique, vous vous saurez la guider mieux que moi : à chacun son expertise, je suis une rustre dans les sciences et je n’entends rien au trois quart de ce qui peut sortir de votre bouche si vous partez dans l’explication de la naissance de l’univers. Jade à besoin de « référence » pour continuer à progresser vers ce qu’elle doit devenir et là, miss Payne c’est la mère qui parle je vous demande simplement de faire ce que vous savez faire de mieux : être simplement vous-même et co signer son PHD. C’est possible, j’ai contacté le conseiller à l’éducation, c’est une forme de doctorat en alternance assez rare mais acceptable et bien qu’un phd à son âge soi en lui-même déjà une chose incroyable, les résultats de ces dernières évaluations peuvent lui en ouvrir les portes par dérogation « exceptionnelle » émanant des autorités de l’Etat de New Heaven. Bien sûr, l’aspect théorique se fera à l’Université Tomorrow mais les expérimentations terrain et les recherches peuvent être délocalisées dans vos locaux comme elle me l’a demandé et comme la loi Heavienne vous y autorise, vous pouvez être sa directrice de recherche au vue de votre doctorat.

Je me détends légèrement sur ma chaise tout en soupirant avant de jeter un regard un peu rêveur à ma compagne et je conclue d’une voix plus confidente.

- Et ne croyez pas que je n’ai pas saisi vos doutes sur votre rôle, je les comprends parfaitement comme je comprends déjà aussi que vous ferez des erreurs car on ne peut apprendre à marcher sans risquer de tomber tout simplement. Ne cherchez pas « le meilleur » pour Jade, cherchez « le juste » et vous y parviendrez. Je vous demande juste de l’écouter et veiller à ce qu’elle ne se mette pas en danger physiquement…comme elle nous l’a dit vertement et sans détours : de toute façon son choix est fait et elle vous fait confiance…peut être qu’elle peut percevoir chez les autres des choses qu’ils ne sont pas capables de voir eux-mêmes…c’est ce que je fais, vous voyez, je fais ce qui est juste : je choisi de lui faire confiance. J’ai appris de mes erreurs en tant que mère et mentor, j’ai toujours bassiné ma compagne à l’époque sur ce qui était à mes yeux meilleur pour elle et non pas ce qui était « juste » à ses yeux…d’où des heuuures de conflits interminables mais j’espère…fin, j’ose espérer que depuis elle m’a pardonné…il faut dire qu’elle n’était pas des plus faciles à vivre non plus.

Je lui jetais un regard un peu snobe avant de conclure.

- Elle ne l’est toujours pas d’ailleurs, d’autant plus problématique que je radote de plus en plus avec l’age…

La comprendre et lui offrir du temps et de l’écoute. Cela pouvait paraître simple, comme concept, et en soi Kaylinn était loin d’être contre ! Mais c’était plus complexe que ça en avait l’air. La PDG n’avait pour ainsi dire pas de vie personnelle ou presque. En règle générale elle était sur le pont vers 8h30-9h00 et partait vers 22 ou 23 heures, quand elle partait. Elle avait pris, pour son bureau, un canapé confortable pour une bonne raison. Du coup… La mère Oldfield ne semblait pas se rendre compte du fait que le temps disponible soit quelque chose d’assez rare, chez Payne. Elle était prête à faire au mieux pour en trouver après : la preuve, elle avait libéré plus de 2 heures pour cette rencontre. Néanmoins, pouvoir micro-gérer Jade demanderait une sacrée réorganisation de son emploi du temps. Elle serait peut-être forcée de déléguer certaines fonctions-clé, mais il faudrait pour ça trouver une personne en qui elle aurait suffisamment confiance… Dans sa petite tête commençaient déjà à se préparer les choses afin de libérer du temps.

À titre personnel, je trouvais ça assez drôle. Enfin, drôle… Nan, mais je veux dire… On parlait de relations humaines et elle, elle faisait des plans détaillés. Ce sacrifice qu’elle avait fait, choisir de laisser de côté toute vie personnelle pour l’humanité, était en soi très noble. Et certains doutent de sa sincérité, mais en tant que narrateur, je peux vous le dire, c’était totalement sincère. Néanmoins, dans le processus, elle avait progressivement perdu une partie de son humanité, de ses émotions. L’univers était devenu une série de chiffres, de faits physiques et psychologiques. Rien que ce dont elle avait parlé : sa facilité à gérer des groupes de personnes parce que leurs comportements étaient plus prévisibles grâce à la science, par opposition à ses difficultés à gérer des individus à cause de leur aspect imprévisible. C’en était une parfaite illustration. Elle ne se fiait plus à son empathie ou ses ressentis mais exclusivement à des mécanismes sociaux étudiés et chiffrés de façon mathématique.

Par conséquent, je dois vous l’admettre, j’étais plutôt intéressé de voir l’effet que Jade aurait sur elle. Le fait de devoir interagir avec quelqu’un de manière régulière, quelqu’un qui ne soit pas soit un vrai ange qui ne trouve son bonheur que dans le fait de servir comme Hunter, ou qui ne soit préoccupé que par la sécurité de l’entreprise comme Lyle, serait sûrement bénéfique. Elle serait… obligée d’improviser, de faire appel à des sens qu’elle avait laissés de côté pendant des années et des années. Mais eh, je ne suis que narrateur, hein, pas psychiatre, au fond personne me demande mon avis. Je dis juste ça comme ça…

Mais pendant que je divague… La rousse continuait de parler, notamment du dossier médical (elle insistait), et des particularités de Jade. Ah, ça, il y en avait quelques-unes. Mais d’après la rousse, en tout cas, la mini-intello n’avait pas choisi Centaurus parce qu’elle trouvait Kay’ cool mais par conviction avant tout. C’était rassurant, déjà… Après, à priori, elle ne recherchait pas de seconde mère. Autant dire que c’était également un poids en moins sur la poitrine de la pauvre dirigeante. Néanmoins, la brune hocha la tête quand Caitlyn affirma que Kay’ pourrait proposer à Jade quelque chose que sa mère était incapable de lui offrir : tout ce qui concernait le domaine scientifique. Le fait était que cette histoire de doctorat en alternance semblait avoir été étudiée de très près, ce qui encore une fois plaisait beaucoup à miss Payne, qui hocha donc la tête avec une mine pensive. Cette histoire de « meilleur » face au « juste » était complexe, mais l’intéressait.

- Je vois où vous voulez en venir, oui. Je ne saurais dire, pour votre compagne, mais à titre personnel j’ai de nombreuses fois refusé de sacrifier mes employés à des fins stratégiques. Je préfère prendre un peu de retard plutôt que d’adopter une « meilleure » solution à court-terme qui s’appliquerait au détriment du personnel…

Elle ajouta ensuite, après un bref instant de réflexion :

- Je regarderai aussi le dossier médical, mais à la seule condition qu’elle soit d’accord. Maintenant, vis-à-vis du doctorat… Je n’y suis pas hostile, loin s’en faut. Si le département légal donne le feu vert, et vu que vous avez déjà étudié la question je pense que ça ne posera pas de problème particulier, nous pouvons partir là-dessus.

La brune semi-cybernétique prit encore quelques secondes avant de préciser :

- Je dois admettre que j’ai quelques réserves, malgré tout. Je vous fais confiance, au final, mais je ne sais pas si un environnement corporate est la meilleure chose. Si j’avais le choix je préférerais l’université, comme environnement, mais au fond c’est Jade que ça concerne et non moi. Dans le pire des cas, il sera toujours temps de changer d’avis plus tard.

Une autre question se posait, par contre, nettement plus « tactique », il fallait bien l’avouer. La jeune Jade attirait une certaine attention et il y avait eu des attaques et autres menaces par le passé. Du coup… Il allait falloir en tenir compte.

- Concernant sa sécurité… En soi, nous sommes surtout équipés contre l’espionnage industriel, pas contre les attaques terroristes ou les assassinats. À part les lobbies, en général tout le monde nous aime bien et les groupes terroristes les plus actifs ne nous ont jamais vraiment pointés du doigt… J’aimerais donc savoir dans quelle mesure nous devrions nous préparer à ce niveau-là, et surtout à quel point Jade pourrait être menacée par ce genre de chose. Nous pouvons toujours faire venir des renforts du QG de New-York. Enfin, si le ministère Heavien donne son feu vert, évidemment…