[terminé] La journée productive d'une citoyenne modèle (pv Sage)

Bon, il fallait l'admettre, j'avais un petit peu cherché la merde... Mais avec le recul, je pense que ça valait le coup.

J'avais pris un job de serveuse dans une sorte de boîte de nuit pour nostalgiques de 50 ans et plus, les gens qui ont vécu leur jeunesse et adolescence dans les années 70-80. Il y avait donc une soirée années 80 organisée et dans l'ensemble c'était un boulot relativement simple : il fallait juste que je passe avec des plateaux lors de la première partie de la soirée, plateaux sur lesquels se trouveraient des sortes de petits canapés typiques de l'époque. Ensuite en seconde partie de soirée, je devais amener la bouffe qui encore une fois était assez thématique : des petits sloppy joes, des boulettes de viande à la soupe à l'oignon, des pizzas aux pepperonis "façons 80s" (je ne voyais pas trop la différence avec des pizzas normales mais pourquoi pas), des petits steaks salisburys, des rice-a-ronis, des saucisses de cocktail avec du bacon autour, du bœuf stroganoff dans des petits bols, et des pâtes avec une sauce à la vodka. Bon, je dois bien l'avouer, je n'avais aucune idée de si c'était "des 80s" parce que je suis née 10 ans plus tard mais, dans l'ensemble, les cuisiniers du club semblaient très contents d'eux.

Ah, oui, pardon : j'avais omis de le préciser. Le club était dans l'inner ring et était assez huppé dans l'ensemble. Le rapport ? Justement : ils avaient leurs propres cuisiniers et tout, avec plusieurs étages différents qui offraient chacun des ambiances distinctes. Rien que l'entrée coûtait 2 jours de salaire - enfin, de MON salaire - du coup ce n'était pas le genre d'endroit que je risquais de visiter en passant par la porte de devant. En revanche, ils avaient du blé mais pas assez pour fournir toutes les fringues. Lors des soirées standard, ils fournissaient des uniformes standard, le genre de truc bien sexy pour attirer le chaland... Mais ce soir-là, ils m'avaient recrutée (ainsi qu'une demi-douzaine d'autres serveurs) pour une soirée thématique, pour laquelle ils attendaient plus de monde. Nous étions donc les renforts temporaires de la soirée et il était hors de question de s'embêter la vie à nous fournir des fringues, d'autant qu'il nous fallait "des tenues des années 80" et non l'uniforme classique. Des tenues des années 80... J'avais la tête de quelqu'un qui a passé ses soirées dans des clubs disco après être allée voir Rocky au cinéma ?

Le fait était que des fringues dont je ne connaissais rien étaient à mes frais. Pour faire simple, vu ce que j'étais payée pour la soirée, je dépenserais autant d'argent en fringues que je n'en gagnerais - pourboires inclus. Bizarrement, le job ne paraissait pas ultra vendeur, d'un coup... Et ce fut à ce moment-là que je vis une opportunité intéressante de m'amuser. J'avais déjà accepté l'offre - car évidemment ils n'avaient donné les détails pourris qu'APRÈS la signature du contrat... Donc autant en tirer le meilleur parti possible, non ? Je me lançai donc en quête de la boutique qu'il me fallait, et autant dire que ce ne fut pas simples. Des fringues des années 80 ? Hé ben ça ne court pas les rues... Ce n'est plus vraiment à la mode depuis plus de 40 ans donc j'avais peu de chances d'en dégoter dans un centre commercial ou une merde du genre. Je décidai donc d'errer dans des petites ruelles, cherchant des commerces bien plus modestes, le genre à avoir des vieux trucs dont ils ne savaient pas quoi foutre et là : VICTOIRE. Ils louaient des costumes. Genre pour Halloween, les grandes occasions, les anniversaires, ce genre de choses... Et je trouvai pile ce que je cherchais : un ensemble complet des années 80. Pour trois fois rien en plus !

Le soir venu, j'entrai donc - en passant par l'entrée des employés évidemment - avec mon sac, toute fière de moi. Le manager me cracha à la figure que je devais me changer et me bouger, ce que je fis donc. Hop, au vestiaire. Il me fallut quand même un moment pour tout mettre, parce que les vêtements que j'avais loués étaient d'une qualité... Assez médiocre, en fait. Ce n'était pas vraiment d'époque, c'était une reproduction un peu cheapos sur les bords, faire avec du plastique et compagnie. Mais l'effet serait suffisant. Ni une, ni deux, je sortis sous le regard un peu sidéré de mes collègues, attrapant vite un plateau avant que le manager ne puisse m'apercevoir, et je me mis à servir des apéritifs et autres... Encore une fois, sous le regard sidéré de certains clients mais très amusés des autres, qui avaient compris où je voulais en venir. Il ne fallut que cinq minutes pour que le fameux manager ne me coure après, me lançant avec un air particulièrement énervé :

- Les années MILLE NEUF-CENT quatre-vingt !!!
- Ben, c'était pas précisé en fait, répondis-je avec mon sourire le plus trollesque possible. Certains des clients aux alentours, qui avaient entendu, se mirent à ricaner.

Car oui, c'était une tenue de 1780 que j'avais récupérée. Avec la perruque, la robe bouffante, le chapeau, tout ce qui allait avec. C'était pour ça que j'avais autant galéré à passer le costume, et encore plus à le trouver... Mais j'avais réussi, c'était le principal. Certes, j'allais me faire virer et je ne gagnerais pas un kopec ce soir-là mais au fond... Même si j'avais "coopéré", entre le prix de la tenue et la paie relativement basse pour un club de ce standing, je n'aurais pas gagné un rond non plus, du coup... Worth it.

- Foutez-moi le camp, vous avez de la chance que j'aie pas le temps de remplir les papiers pour vous virer proprement... Parce qu'avec ça vous ne pouviez plus jamais trouver aucun job de votre vie !
- Si vous n'avez pas le temps de les remplir, je peux avoir les formulaires mais vides ? C'est pour un souvenir, j'aime bien l...

Le type ne me laissa même pas le temps de finir ma phrase, partant vers l'autre bout de la salle où il y avait quelque chose de bien plus urgent. Je restai donc là à ricaner quelques secondes, avant de finalement hausser les épaules et me diriger vers les vestiaires, histoire de me re-changer. Ce fut à ce moment-là qu'un type m'attrapa doucement par le bras, me lançant un grand sourire de séducteur :

- Bien vu, mademoiselle. Avec un tel esprit et une telle verve, votre place est plus avec nous que dans les coulisses... Miss...?
- ...Tère. Pour ce soir, ça sera mon nom, répondis-je en faisant une révérence façon 18ème siècle, ce qui fit rire le type. Il n'avait pas l'air d'avoir plus de 50 ans ce qui signifiait qu'il avait probablement pas mal de moyens. C'était une règle qui existait depuis des millénaires : plus vous êtes riches, plus vous vieillissez lentement.
- Si un soir, vous souhaitez passer de l'autre côté du rideau... démarra-t-il en me glissant un papier, n'hésitez pas à m'appeler.

Il inclina alors la tête en salutation, avant de retourner à sa conversation avec ses amis. Le papier était une carte donnant son nom, son numéro de téléphone, et il y avait deux billets assez sérieux. Ce n'était pas la fortune totale mais c'était clairement plus que ce que j'aurais gagné en bossant de façon normale. ... ...

...

OH PUTAIN. MES CONNERIES M'ONT PERMIS DE VIVRE ! C'était une première ! Pour la toute première fois de ma vie, le fait de faire n'importe quoi et d'embêter le monde m'avait fait GAGNER de l'argent ! C'était fou ! Ce n'était littéralement jamais arrivé. Peut-être que faire n'importe quoi chez les mecs ultra riches rapportait de l'argent, là où chez les autres ça les gonflait juste ? Va savoir. Peut-être que j'allais le rappeler... Bon ça faisait un peu croqueuse de diamants mais au pire je passerais une soirée sympa et je m'enverrais en l'air avec monsieur sexy grisonnant, je n'avais pas grand chose à perdre. Ce fut donc sur ces pensées que je rentrai dans le vestiaire, avant de finalement décider de ne pas me changer. Eh, j'avais loué le costume pour TOUTE la soirée et je me sentais SUPER FABULOUS avec ça, du coup, zut, j'en profiterais jusqu'au bout. Je me retrouvai donc, en tenue d'époque, à marcher dans les rues de l'Inner Ring, avant de finalement me retrouver près de Hell Door. La tenue attira des regards et commentaires curieux et/ou amusés mais rien de plus.

Ce fut après une lutte pour réussir à monter les escaliers (parce que monter des escaliers avec une robe comme ça, c'est bien la merde) que je parvins enfin à atteindre la porte de mon "appartement"... Et que je réalisai que les clés étaient dans le sac avec mes fringues normales. Et j'avais laissé tomber le sac au sol. ALLEZ VOUS BAISSER AVEC UN CORSET ET UNE ROBE BOUFFANTE !!! Je me mis du coup à me contorsionner d'une façon assez douteuse, et ce fut alors que j'atteignais finalement le sac que j'aperçus quelqu'un dans le couloir. Depuis combien de temps était-il ou elle là ? Je n'avais entendu personne arriver donc il ou elle était là depuis le départ... Fronçant les sourcils, je lançai alors :

- Eh, au lieu de me regarder vous pourriez quand même aider la Marquise de Kangeesionesque. Il faut toujours porter assistance aux gens de qualité, vous devriez le savoir !

Autant avoir l'attitude qui va avec les fringues, non ? Comme on disait : habillez-vous comme ce que vous voulez être, pas comme ce que vous êtes. Bah voilà.

Il y a 3 mois, « Le Cocon », centre secret abritant l’ « œil » de Nation X.

« La mort pour un X Man, c’est une mauvaise grippe »

C’est Logan qui avait osé cette boutade, il y avait lui semblait-il une éternité et les mots lui revenaient alors qu’elle visualisait le portrait de la jeune fille dans un coin de son esprit tout en réactualisant l’intégralité des données qu’elle possédait sur elle, les officielles comme dirons-nous, les moins officielles, le passé connu, le passé caché…Logan avait raison, du moins les ¾ du temps, du moins jusqu’à Ultimate.

L’esprit dans l « œil » connectée au monde numérique via cette interface, vaste machinerie Hi-Tech trônant au cœur du Cocon  lui-même enterré dans les souterrains de la tour du gouvernement, Sage contrôlait son univers, absorbée comme la plupart de son temps dans mille affaires distinctes, une routine habituelle mais si complexe que personne d’autre n’aurait pu contrôler l’ « œil » comme elle le faisait.

Kaya Kangee, morte pour certains, fantôme pour d’autres, « problème endémique pour une partie du monde ». Découvrir la vérité à son sujet avait été plus simple que de la cacher, une vérité encombrante, un mensonge utile…comme tout ce qu’elle faisait depuis des années.

- Nous attendons confirmation sur la procédure à suivre, madame la secrétaire…mais son nom étant sur la liste K, nous avons voulu suivre les règles à la lettre, je ne vous cache pas que c’est mon premier K depuis des lustres….

Imbécile, cet agent du service de l’immigration ignorait le véritable sens de cette expression, « les lustres », New Heaven et sa fondation ne remontait pas à cette durée. L’approximation de la sémantique agaçait toujours autant la Secrétaire à la Gouvernance de l’Etat.  Elle se garda cependant de toute remarque sarcastique, comme à son habitude et commenta d’une voix sans émotion.

- Autorisation accordée, suivez la procédure mais n’enregistrez pas cette personne, ce dossier K est « classifié » par la procédure 23. Vous n’en referez qu’à mon service et personne d’autre. Bon travail Agent Tyrel.

Elle n’attendit aucune confirmation fermant sa fenêtre d’observation pour en ouvrir une autre.

- Johnson ? Nous avons un dossier K.

L’image d’un vieil homme bourru s’afficha, apparemment un soldat à voir les galons sur son uniforme.

- Oh ? C’est lequel ? Wolverine ?
- Kaya Kangee, Steel Wing…
- Quoi ? Gangniam Style ?  C'est pas un vieux tube ça ?.....Ah…., il sembla dubitatif comme déçu…en quoi ça me regarde, madame la secrétaire ? Elle n’avait même pas le rang d’X Men d’après les archives….c’est ce que je vois ….

Dans son esprit Sage ouvre une fenêtre Youtube de Psy pour en savoir de qui il en retourne...sur le Gangniam Style.


- Je vous communique son dossier en simultanée, vous me la placez en procédure 23, nous avons nos raisons. Je ne veux pas qu’elle puisse prendre une bouffé d’air sans que j’en sois informée sur le champ. Prenez des agents de type occulteur et une équipe d’agents expérimentés, ne vous fiez pas à son dossiers de base, je vous communique ses réelles capacités…c’est un sujet dangereux, si il y a de la casse, referez en immédiatement à la Garde Rouge.

- La Gar…pas la X Force ?

- Non, je veux le contrôle total de tout ce qui se passera avec ce dossier. Il faut faire en sorte que Miss Kangee reste totalement invisible pour l’instant, je m’y emplois « numériquement »…et vous la gardez à l’œil.

- Ok…bien reçu…n’empêche j’aurai préféré Wolverine…

Sage coupa la communication, Wolverine était au Canada occupé à émasculer des écureuils ou toute autre activité mineure, l’acteur qui signait son avatar à l’adaptation cinématographique des « X Men » connaissait plus de succès que lui à présent. Kaya n’avait pas connu les feux des projecteurs mais pouvait très bien l’y mettre. Ses « coups d’éclats post Ultimate » avaient défrayé la chronique des gazettes américaine, même si le gouvernement Heavien se désolidariser de cette « purge » confreriste puisqu’ayant accordé l’asile à TOUS les mutants et avait refusé de donner ses lumières sur le type de mutant capable de commettre de telles atrocités. Le Comité Restreint avait identifié Kaya bien avant son dernier acte à Seattle mais tout ce qui pouvait « gêner » nos  alliés alors, était quelque chose que l’on se devait de faire perdurer. La politique interne des Etats Unis ne nous regardait en rien et notre collaboration se voulait « limitée » avec les services d’incident de classe M, ces mêmes services ayant enfanté jadis  l’IM, l’Intelligence Mutante officiellement dissoute et ses procédures racistes ayant débouchées sur les camps d’internement.

Kaya Kangee pouvait être un petit caillou dans une chaussure, du moment que cela ne fut pas la nôtre…Son retour ici par contre changeait la donne. Il était urgent d’attendre, d’attendre de voir où le vent voulait la porter pour le peu qu’on l’aide convenablement à prendre la direction voulu.
En attendant son chrono m’indiquait l’heure exacte, celle de la prise de mon verre de lait, 17h32et 45 secondes.
Que serait sa vie sans un peu de douceur ?
Elle rejoua  Gangniam Style une seconde fois.

..............................................................................................................................



Elle a fait le déplacement en personne, parce qu’il était temps pour Miss Kangee de faire un choix et de répondre à ses questions qui au fond ne seraient posées que pour la forme. Kaya ne semble pas vouloir faire de vagues, les rapports sont d’une banalité confondante même si elle n’a pas perdu de son mordant et que ses excentricité ont fini par donner quelques nuits d’insomnies à certains de ses agents.  Sage ne voulait cependant pas croire qu’une telle force de la nature puisse vouloir « passer à autre chose » tout simplement.  Kaya était hyper active et son énergie devait être exploitée  quoiqu’elle en pense, c’est de toute façon ce que demandait sa mutation.

Elle détone un peu dans le paysage, uniforme fonctionnel en pantalon sombre et veste refermée, ses cheveux rabattus en un chignon et ses éternelles cyber-lunettes sur le nez. On dirait presque une militaire à dire vrai, rien de très féminin mais une austérité évidente.
Elle s’immobilisa devant la porte et bascula en mode veille. Prête à se réactiver au moindre mouvement, c’est une forme étrange de sommeil mais suffisante pour un être comme Sage. La pseudo déconnexion lui permet de rester debout, inerte et planté devant une porte en semblant juste pensive alors qu’elle se repose. Combien temps ? Assez longuement jusqu’à ce qu’elle perçoive un changement dans son environnement. Quelqu’un approche, démarche pataude, mal assurée, respirant avec peine…Kaya s’est-elle alcoolisée ? Fort probable. Après tout elle collectionne bien des vices.
Sage ne manifeste aucune surprise devant l’apparence saugrenue de la plus si jeune femme que cela.  La drogue ou de l’échangisme à thème ?

- Eh, au lieu de me regarder vous pourriez quand même aider la Marquise de Kangeesionesque. Il faut toujours porter assistance aux gens de qualité, vous devriez le savoir !

Elle incline la tête sur le côté en une sorte de réponse muette, semblant sonder psychiquement son interlocutrice. Puis sans effectuer de geste inutile et sans bouger le corps, elle enfonce brusquement la porte d’un coup de pied violent avant de se redresser et de remonter avec élégance ses lunettes au bout du nez.

- Les clés sont une perte de temps. Bonjour Miss Kangee, votre tenue est hideuse et inadaptée, je vous préfère en uniforme.  Entrez s’il vous plait, mon agenda est chargé, je n’ai pas beaucoup de temps…Auriez-vous un verre de lait non périmé à m’accorder dans votre…. « logement » ? Et quelque chose de propre sur lequel on peut s’assoir…nous devons parler…vous avez dix années à rattraper et autant prévenir que je n’ai pas le temps pour toute manifestation émotionnelle du genre « effusion », nous sommes bien d’accord ?

Sans même attendre, elle entre dans la chambre en ajoutant.

- Cessez de maugréer « Marquise », j’enverrai « mes gens » remplacer la porte de votre château….  

Et hop, elle défonça ma porte. Carrément. Ok... Super. Merci quoi. Mais pourquoi foutre, ça n'avait aucun s...

... merde. J'avais des hallucinations ? J'avais lu que ça pouvait arriver en cas de sevrage de drogues dures. C'était très rare mais possible... Non. J'avais déjà eu des hallucinations et ici, elle se contentait de défoncer ma porte. Elle ne me tourmentait pas, ne tentait pas de me faire peur, ni rien. Ce n'était pas une hallucination psychotique, mais alors qui c'était ? Me relevant, je l'observai et... en fait elle me disait quelque chose, maintenant que j'y réfléchissais. Non... Attends... C'était impossible.

- Les clés sont une perte de temps. Bonjour Miss Kangee, votre tenue est hideuse et inadaptée, je vous préfère en uniforme.  Entrez s’il vous plait, mon agenda est chargé, je n’ai pas beaucoup de temps…Auriez-vous un verre de lait non périmé à m’accorder dans votre…. « logement » ? Et quelque chose de propre sur lequel on peut s’assoir…nous devons parler…vous avez dix années à rattraper et autant prévenir que je n’ai pas le temps pour toute manifestation émotionnelle du genre « effusion », nous sommes bien d’accord ?
- Putain, Sage ? lançai-je à voix haute, sans même m'en rendre compte.

Ce fut sa voix que je reconnus immédiatement. C'était elle qui donnait les ordres à distance à l'Institut, qui donnait les infos tactiques et tout ce qui allait avec. Elle était aussi là aux briefings et en fait parfois, c'était elle qui les menait. Elle était... intéressante. Pas parce qu'elle avait une personnalité radieuse et sympathique qui donnait envie de lui caresser la tête comme si c'était un chaton, non, plutôt parce qu'elle avait l'air vide de tout. Je disais souvent que je me sentais vide mais par rapport à Sage, je respirais la joie de vivre, même dans mes pires journées avec les nausées et tout le tralala... Elle avait toujours autant d'enthousiasme qu'un aveugle face à du Van Gogh et présentait la quasi-totalité des symptômes de la sociopathie. Bon je n'étais pas psychiatre mais j'avais lu pas mal de choses et clairement, elle avait l'air déconnectée de A à Z. Une vraie machine. Fiable, en règle générale, mais pas la personne à laquelle vous iriez raconter votre soirée, ou... ou quoi que ce soit, en fait, maintenant que j'y réfléchissais. Cela dit...

Il n'était probablement pas nécessaire d'aller lui raconter la soirée. Elle avait tout le temps des brouettes surréalistes d'infos, au point où finalement il n'aurait pas été surprenant qu'elle sache que vous avez été en soirée, que vous avez bu deux Blue Lagoon, qu'un beau mec nommé Julian vous a payé à boire et qu'il vous a laissé son numéro et que vous iriez bien faire des choses avec ses jolies petites fesses... Du coup, je ne me demandai pas longtemps comment elle avait fait pour me retrouver. Le simple fait qu'elle soit encore vivante indiquait qu'il était impossible qu'elle ne me retrouve pas. Néanmoins... Quelqu'un comme elle ne fait jamais rien sans raison, ce qui me fit hausser un sourcil. Que me voulait-elle, au juste ? Pas des conseils pour faire des bonnes blagues, c'était certain... Et elle n'était sûrement pas venue juste pour le lait.

- Du lait... J'en ai oui, j'en bois des litres... Je vais juste me changer avant.

Entrant dans l'appartement, je renversai des trucs par terre à cause de la robe. Finalement, la garder n'était pas une idée de génie tout compte fait. Et aller jusqu'à la chambre serait une bonne galère... Ah, puis merde. Elle s'en foutrait si je me changeais dans le salon, elle avait autant de chaleur humaine que le lac Baikal.

- Vous m'excuserez mais j'ai du mal à circuler avec ça... Et c'est pas hideux, c'est pour emmerder quelqu'un. Et c'était très drôle, enfin pour quelqu'un qui a découvert la technologie fascinante qu'est l'humour évidemment, ajoutai-je avec un sourire bête, en détachant le corset.

Hop, le corset finit au sol, ensuite le chapeau, la perruque, je détachai alors la robe elle-même, la fis glisser par terre comme je le pouvais, en me trémoussant d'une façon un peu ridicule d'ailleurs, pour finalement enlever les bas et les sortes de chausses assez inconfortables qui étaient fournies avec le costume. Laissant le tout où c'était, je me dirigeai donc, dévêtue, vers un petit meuble avec des tiroirs pour attraper un shorty noir de sport que j'enfilai rapidement, ainsi qu'une brassière - de sport aussi - que je passai l'air de rien. Allant après vers la cuisine, j'ouvris l'un des deux frigos - j'en avais deux parce que je mangeais deux fois plus que la normale - pour en sortir l'une des très nombreuses bouteilles de lait qui étaient dedans.

- Dix années à rattraper, vous dites... Et dans quel domaine, je vous prie ? lui dis-je depuis la cuisine alors que je remplissais un verre pour elle et un gros bock pour moi.

Retournant ensuite vers la salle principale, je m'affalai dans le canapé - qui était propre - après avoir posé le verre (en plastique) sur la petite table basse en verre (vraiment en verre par contre) qui trônait au milieu. Cela fait, je m'envoyai une gorgée de lait et l'observai en fronçant les sourcils.

- 'me dites pas que vous êtes impressionnée par mes talents d'exception dans les métiers du service et dans l'industrie de la restauration... Avec VOS talents vous devez avoir bien mieux à foutre que de courir après une serveuse à mi-temps en plein sevrage... Et étant donné votre personnalité, je suis à peu près certaine que vous n'êtes pas venue pour faire la conversation et parler du bon temps...

Face à la plupart des anciens de l'Institut, j'aurais été... presque paralysée. Effrayée de... je ne sais pas. Effrayée à cause de ce que j'avais fait, de cette culpabilité constante qui glissait sous ma peau, peur de ne pas être la personne qu'ils imaginaient, et plein d'autres choses. Mais avec Sage... Je savais que c'était une sorte de psychopathe, avec elle seule la logique fonctionnait. La position que j'avais par rapport à elle était... différente. Mais il ne fallait pas penser pour autant que j'étais plus à l'aise avec elle : je savais juste que je pouvais oublier toute convention sociale classique en sa présence parce qu'elle s'en foutait. En revanche, j'étais relativement flippée... Pourquoi était-elle venue me retrouver ? Probablement pas parce que j'avais tué un de ses amis. Elle n'avait pas d'amis, déjà, et au-delà de ça j'avais tué des Confréristes, des leaders de Milices Anti-Mutantes, et des politiciens qui avaient participé à la mise en place de ces épouvantables camps d'internement... Pas vraiment son genre de fréquentation, si ?

J’avais observé d’un regard indifférent son strip tease. Le corps humain me laissait totalement froide, même si j’avais plutôt une inclination pour les hommes par convenance et éducation classique judéo-chrétienne hétérosexuelle mais le plaisir est une notion qui m’est totalement étrangère parce que futile et éphémère, et de plus cette activité réellement chronophage n’a rien de productive mise à part quelques échanges chimiques et production hormonale. J’observais cependant ses tatouages avec beaucoup plus d’intérêt que sa plastique, les formes et dessins flattaient sans doute un spectre de sensibilité artistique chez moi, mais une fois plus, je n’avais pas jugé nécessaire de cultiver cette sensibilité par soucis d’optimisation de mon temps et de mes talents plus utiles à ma ligne de conduite.

Elle revint dans une tenue somme toute toujours fort inconvenante socialement parlant mais qui convenait bien mieux que des oripeaux nostalgiques et de mauvaises factures, d’ailleurs j’avais pour tuer le temps identifié le costume et parcouru quelques notices sur la mode vestimentaire de la période, tout en cherchant des points de vente dans la cité et effectué un comparatif exhaustif de prix.

- Dix années à rattraper, vous dites... Et dans quel domaine, je vous prie ?

Je levais le regard, le perdant sur la décoration farfelue de l’appartement. En mode de décoration ? La réponse aurait pu dénoter une tentative d’humour dans mes propos, je préférais le sarcasme, mon humour étant rarement compris et au fond n’étant ni amusant pour moi, ni pour un éventuel auditoire. J’ouvrai parallèlement plusieurs fenêtres sur les différents types d’humour et une vidéo sur les grands humoristes contemporains.

- C’est précisément ce que nous allons déterminer ensemble, Miss Kangee.

J’observais la pose du gobelet en plastique, remerciant discrètement d’un hochement de tête. Comment pouvait-on trouver l’Humour de ce Vincent Lagaff drôle ? J’ouvrais des notes supplémentaires sur sa biographie afin de comprendre.

- 'me dites pas que vous êtes impressionnée par mes talents d'exception dans les métiers du service et dans l'industrie de la restauration... Avec VOS talents vous devez avoir bien mieux à foutre que de courir après une serveuse à mi-temps en plein sevrage... Et étant donné votre personnalité, je suis à peu près certaine que vous n'êtes pas venue pour faire la conversation et parler du bon temps...

Une brève inspiration, une consternation profonde devant les paroles navrantes de « Bo le Lavabo » du dit Lagaff, je réponds avec une froideur sans tact.


- Vos activités annexes, personnelles ou professionnelles ne m’intéressent en rien. Ce n’est pas parce que j’ai effectivement dit que vous aviez dix années à rattraper sur New Heaven que New Heaven a dix ans à rattraper sur vous. Vous êtes une criminelle de guerre, Miss Kangee, vous êtes une meurtrière en plus d’une droguée. Vous ne devez votre salut qu’à une conjoncture de plusieurs facteurs : Les États Unis ignorent que vous êtes responsable entre autre de 2016 à 2024 de  l’assassinat de  Parsson et Connely et je parle même pas de la purge confreriste que vous avez exercé avec une obstination remarquable, et des multiples larbins de second couteau quant au massacre du personnel du camp de rétention, croyez-le ou non, je suis la mieux placée pour approuvé ce que vous avez fait. Nous savons depuis longtemps qui était responsable de cela, nous avons choisi de garder cette information pour nous pour des raisons qui nous regarde. Vous avez mieux que personne exploré toute le démesure de votre potentiel mutant, vous n’en voyez pas véritablement les frontière, cette prochaine étape peut se faire sous contrôle et en toute sécurité. Vous êtes une lame qui s’est forgée elle-même mais cette lame, sans objectif et sans emploi, rouille et se perd. Vous êtes pas revenue à New Heaven pour des futilités comme le remord ou la rédemption, vous perdez votre temps en futilités, votre place est et reste sur le terrain à vous battre pour quelque chose. Tout le monde vous croit morte, je n’ai rien contre votre « résurrection », personne ne sait ici à part moi et les miens que Kaya Kangee a refait surface. Cette information est entre les mains de la Secretaire à la Gouvernance que je suis. Vous pouvez passer le reste de votre vie à gâcher un potentiel ou l’exploiter, vous pouvez même faire les deux…lutter et construire votre vie, revoir vos amis qui je le sais seront bouleversés de vous savoir en vie mais je ne vous laisserai pas croupir ici dans la clandestinité.
Vous n’avez défendue ni votre peuple, ni cette cité et même si votre formation n’est pas arrivée à terme vous êtes par le sang devenue une X Men, pas une X Men du rêve pacifiste de feu Charles Xavier, celui activiste et nationaliste de New Heaven. Vous DEVEZ servir cette cause sanglante Miss Kangee, tout le monde a saigné et fait saigner, personne n’est plus innocent.
Deux questions.
Voulez-vous  savoir ce que sont devenues vos proches de l’Institut ?
Et surtout où en êtes-vous dans le sevrage de vos drogues ?

Je remontais d’un geste mes lunettes, non même la zoubida de Lagaff ne m’arrachait pas une satisfaction neutre.

- C’est précisément ce que nous allons déterminer ensemble, Miss Kangee.

Ben tiens... Je ne connaissais pas Sage sur le bout des doigts - nos discussions par le passé furent en général brèves et efficaces. En revanche, je savais ce que c'était que d'être capable d'un pragmatisme extrême. J'en serais capable, avec un certain conditionnement. Je ne serais peut-être jamais aussi... mécanique qu'elle mais le fait était que les raisonnements 100% logiques, qui ne tiennent aucun compte d'aucun facteur humain, m'étaient familiers. Certains livres disaient que c'était un signe d'intelligence supérieure, d'autres que c'était un signe de psychopathie latente, d'autres encore que tout le monde était comme ça. Ce qui était évident, c'était que la femme qui se tenait en face de moi n'était pas du tout comme tout le monde et, par conséquent, que je ne pouvais pas appliquer des déductions "normales" à ce qu'elle pouvait penser ou vouloir. Ma conclusion était donc claire et nette : elle ne serait jamais venue sans savoir ce qu'elle voulait, précisément. De fait, elle avait déjà déterminé ce qu'elle voulait déterminer... La question était : quoi ? Qu'est-ce-qu'elle pouvait bien me vouloir ? J'étais... à la retraite, ni plus ni moins. Le terme faisait un peu "vieille" mais en soi c'était l'idée. Je vivais au jour le jour, j'agissais comme une gamine pour compenser le fait que je n'avais jamais vraiment eu d'occasion d'en être une par le passé, et voilà, affaire classée. La situation n'était pas magnifique mais en soi, elle était nettement meilleure que celle dans laquelle je vivais quelques mois auparavant...

Et là, paf, elle me lança un monologue digne... de moi, tiens. L'idée en soi était assez drôle mais le contenu, nettement moins. Criminelle de guerre ? Meurtrière en plus d'être droguée ?
Mon coeur se mit à accélérer de façon significative. L'anxiété montait petit à petit... Car même si j'avais envie de répondre de façon sarcastique, genre "Criminelle de guerre, ben tiens, et pourquoi pas éliminatrice de l'humanité pendant qu'on y est ? Parce que quitte à faire de la surenchère autant y aller franco ma vieille"... Je savais au fond qu'elle disait vrai. Je répondais à cette définition. J'avais éliminé, méthodiquement, avec préméditation, et de façons parfois assez infâmes, des anciens combattants. C'était encore une de ces situations où... ce n'était pas comme dans les films. Dans un film d'action de série B quelconque, l'agent secret aurait procédé à l'identification d'un réseau d'anciens nazis avant de tous les tuer et hop, le spectateur applaudit. C'est cool, tuer des nazis, et tout ça, ça fait de l'action, y'en a qui disent "ach zo" et tout... Mais en réalité c'était plus complexe que ça.

La plupart des personnes que j'avais assassinées - parce qu'il fallait dire les choses comme elles l'étaient - n'étaient pas beaucoup plus humaines qu'avant Ultimate. Connely et Parsson, par exemple, étaient tout aussi pourraves qu'avant. Ils n'avaient pas changé d'un poil. L'horreur des internements, la destruction causée par Ultimate, l'héroïsme des mutants face à la menace... Rien à branler, ils avaient continué leurs activités immondes envers et contre tout, parce que c'était ce qu'ils étaient. Et la plupart des Confréristes que j'avais abattus auraient continué leurs activités à la con ou leurs petits complots pitoyables de mutants delta en manque de reconnaissance. Mais... Certains avaient bel et bien changé. Je voyais encore le regard de Loway chaque fois que j'arrêtais de réfléchir. C'était peut-être pour ça que je faisais des conneries... Pour m'occuper l'esprit et arrêter de repenser à cette scène, encore et encore ? A ne plus penser à tous ceux qui étaient peut-être comme lui ? A ne plus penser à ce qu'il avait dit sur l'importance de la route prise par rapport à l'importance de la destination ? Probablement.

Mais Sage ne se préoccupait pas vraiment de ce genre d'éléments. Non, pour elle la rédemption et le remords n'étaient que des futilités... Évidemment. Je ne sais pas trop à quoi j'aurais dû m'attendre, venant d'elle... Manifestement c'était ce que je pouvais faire pour ELLE qui l'intéressait, rien de plus. Mon rythme cardiaque ralentit un peu, le stress retombant légèrement au passage. Le fait de revenir à des éléments plus terre-à-terre et plus immédiats me calmait... Elle déclara ne pas vouloir me laisser "croupir dans la clandestinité" et affirma que je n'avais défendu ni mon peuple ni cette cité. Mon peuple ? C'était une blague ? Elle jouait la carte de la "nation mutante" ? Avec MOI, l'humaniste de l'extrême ? Mais encore une fois, la remarque fit mouche quand même. Bien des personnes étaient mortes lors de l'assaut contre Ultimate et j'aurais peut-être pu sauver pas mal de vies, surtout avec ma capacité à absorber l'énergie. J'aurais été le bouclier idéal. Mais je n'étais pas là... J'étais à Yellowstone en train d'errer dans la neige. Était-ce la faute de mon symbiote ? De la drogue ? Sûrement, oui... Je n'avais que peu de souvenirs de mon séjour là-bas alors que j'y étais restée plus d'un an. Mais n'était-ce QUE la faute du symbiote et de ce cocktail chimique avec lequel il me perfusait ? Déjà avant j'avais une profonde haine contre la Confrérie et contre les Anti-Mutants en tous genres, j'étais partisane de tous leur péter la tête et affaire classée. Aurais-je fait ça si j'avais été quelqu'un de "pur d'âme" ? Bon, la pureté d'âme totale n'existait pas mais ce cocktail aurait eu un effet très différent sur une hippie ou autres...

Enfin arriva la fin de sa tirade, et les deux questions... Si je voulais savoir où sont mes amis de l'Institut et où j'en étais des drogues. Soupirant longuement, je fermai les yeux, me frottant un peu ceux-ci histoire de reprendre un peu de contenance.

- Je DOIS ? Je secouai la tête en fronçant les sourcils. S'il y a une chose que vous devez comprendre de mon dossier, c'est que je ne DOIS jamais rien faire. Je fais ce qui m'amuse quand ça m'amuse si ça m'amuse, et si j'ai le choix entre faire quelque chose que je ne veux pas faire et survivre ou me payer la tête de mon ravisseur et y passer, vous devez savoir que je choisirai toujours de me payer sa tronche jusqu'au bout. Quant à la "cause sanglante"...

Je détournai brièvement le regard, buvant une autre gorgée (une énorme lampée en fait) de lait avant de reprendre. Le fait de faire une pause m'évitait de perdre totalement le contrôle de mes émotions... C'était quelque chose que j'avais appris à l'Institut, ça aussi.

- J'ai eu bien assez de sang comme ça, merci bien... Pour une experte en pragmatisme, vous semblez avoir bien du mal à analyser mes motivations... "Activiste et nationaliste" ? Je suis l'antithèse du nationalisme... Merde, ma théorie personnelle est que pour entrer dans le futur les peuples de la Terre - TOUS - devront forcément s'unifier sous une bannière unique. Qu'ils le veuillent ou non. De façon pacifiste ou non. Soit ils le feront, soit l'espèce entière échouera. Alors le "nationalisme", franchement... Il n'y a rien de moins convaincant pour moi.

Je ne fis pas de pause cette fois - c'était peut-être une erreur.

- Et puis... qu'est-ce que vous me chantez avec votre histoire de verser le sang, là ? lançai-je, en parlant beaucoup plus vite avec une voix assez fébrile. Hein ? Que je serve cette "cause sanglante" ? Vous voulez quoi, votre assassin personnel ou une merde du genre ? Là, je me mis carrément à gueuler. Y'a pas assez de mutants manipulables en ville !?

Je manquai de tomber dans les vapes. Les effets du sevrage... L'espace d'une seconde tout devint flou et ma tête se pencha sur le côté, ce qui fit bondir mon rythme cardiaque subitement et me fit revenir à moi moins d'une seconde après. Il me fallut quelques secondes pour essayer de me calmer - et pour regretter que le symbiote ait arrêté d'intervenir chimiquement parce que j'aurais pas dit non à des bêta-bloquants. Prenant une grande respiration, je répondis aux questions... Autant en revenir à ça.

- Je suis sevrée... Mais j'ai encore des symptômes secondaires de sevrage... J'en aurai sûrement pendant des années... Principalement anxiété, manque d'énergie, arythmie, plus rarement hallucinations nocturnes. Mais je ne peux plus en reprendre, donc aucun risque que je replonge... Quant à mes proches de l'Institut...

Encore une fois, mon rythme cardiaque s'accéléra et je pus sentir des palpitations très fortes tambouriner dans ma poitrine. Je savais que Caitlyn avait survécu mais pas Calie... Je savais que le professeur était mort... Mais je n'avais pas trouvé grand chose sur les autres. Pour tout avouer, je n'avais pas cherché car je craignais de "craquer" et d'aller les voir. Je craignais de les voir... Sage avait raison. J'étais une criminelle de guerre, une meurtrière, une droguée en puissance, je n'avais pas aidé "mon peuple" ni défendu la ville ni servi à quoi que ce soit. J'avais erré dans les états d'Amérique à découper, brûler, électrocuter et infester des connards - ou ex-connards qui avaient changé mais n'auraient jamais de chance de le faire. Que pourrais-je bien dire à Caitlyn ? Je ne serais rien d'autre qu'une... déception... Et si j'avais assassiné quelqu'un qu'elle connaissait ? Elle connaissait des gens de la Confrérie. J'ignorais qui mais je savais qu'elle avait eu des contacts avec. Connaissait-elle Lowel ? Je n'avais aucune façon de le savoir. Non... Je ne pouvais pas reprendre le contact avec elle.

- J'aimerais savoir ce qu'il est advenu d'eux, oui, déclarai-je subitement d'un ton étonnamment calme.

Putain... J'avais dit oui. L'espace... d'une microseconde, mon envie de les revoir avait tout écrasé et j'avais immédiatement dit "oui" pour que ça soit fait et ne plus avoir de chance de revenir en arrière. L'idée même m'angoissait mais de toutes façons ce n'était pas la soirée du rire et de la blague. J'allais avoir des réponses... Restait à espérer que je ne ferais rien d'idiot avec celles-ci.

- Je DOIS ? S'il y a une chose que vous devez comprendre de mon dossier, c'est que je ne DOIS jamais rien faire. Je fais ce qui m'amuse quand ça m'amuse si ça m'amuse, et si j'ai le choix entre faire quelque chose que je ne veux pas faire et survivre ou me payer la tête de mon ravisseur et y passer, vous devez savoir que je choisirai toujours de me payer sa tronche jusqu'au bout. Quant à la "cause sanglante"...

Toujours ce vieux problème de fuir ses responsabilités et de trouver une échappatoire même si cette dernière est définitivement un mauvais choix pour elle. Kaya Kangee ne s’encombre pas de contraintes parce qu’elle tient à son libre arbitre même si elle est assez intelligente pour comprendre qu’il doit parfois être sacrifié à un objectif la dépassant. Elle n’est pas prête au sacrifice, plutôt au suicide parce que c’est acte qu’elle pensera avoir décidé. Je l’observe avec calme me contentant pendant qu’elle commence à manifester son agacement de prendre mon verre de lait pour y tremper d’abord mes lèvres avec une certaine indifférence. Ce trait de caractère la place définitivement dans les « sujets à problèmes », il faudra en prendre compte.

J'ai eu bien assez de sang comme ça, merci bien... Pour une experte en pragmatisme, vous semblez avoir bien du mal à analyser mes motivations... "Activiste et nationaliste" ? Je suis l'antithèse du nationalisme... Merde, ma théorie personnelle est que pour entrer dans le futur les peuples de la Terre - TOUS - devront forcément s'unifier sous une bannière unique. Qu'ils le veuillent ou non. De façon pacifiste ou non. Soit ils le feront, soit l'espèce entière échouera. Alors le "nationalisme", franchement... Il n'y a rien de moins convaincant pour moi.


Nous y voilà. Un sourire fugace passe sur mes lèvres. Je suis satisfaite de sa réponse. Il faut souvent prêcher le faux pour avoir le vrai. Elle en a donc définitivement terminé avec sa vision manichéenne qui l’étouffait ? Nous ne croyons pas au nationalisme, mais nous l’affichons comme une valeur parce qu’elle rassure la base de notre peuple. Nous ne croyons pas non plus au pacifisme parce que c’est dans la nature du genre humain de chercher à imposer son point de vue qu’il pense juste et légitime, nous croyons en la nécessité de nous défendre. Kaya a indéniablement franchi une étape, c’est un sujet intéressant, elle pourrait comprendre et adhérer à ce que nous faisons, du moment qu’elle en fait le choix seule. Je bois calmement tout en désactivant mes fenêtre une par une.

- Et puis... qu'est-ce que vous me chantez avec votre histoire de verser le sang, là ?Hein ? Que je serve cette "cause sanglante" ? Vous voulez quoi, votre assassin personnel ou une merde du genre ? Y'a pas assez de mutants manipulables en ville !?

Fausse colère, le sujet l’intéresse de toute évidence. L’appât du risque, de l’action. Elle ne pourrait pas rester dans cette fausse routine qu’elle s’est créée. Elle provoque cette diatribe pour avoir l’explication de mes attentes. Sa provocation appelle une réponse mais il est trop tôt pour qu’elle puisse l’avoir. Je termine mon verre, le reposant poliment sur la table.

- Je suis sevrée... Mais j'ai encore des symptômes secondaires de sevrage... J'en aurai sûrement pendant des années... Principalement anxiété, manque d'énergie, arythmie, plus rarement hallucinations nocturnes. Mais je ne peux plus en reprendre, donc aucun risque que je replonge... Quant à mes proches de l'Institut...

Bien. Tout est enregistré méthodiquement et les recherches sont lancées afin de comprendre comme nous pouvons l’aider et quels interlocuteurs nous devons contacter.

- J'aimerais savoir ce qu'il est advenu d'eux, oui.

Un profond soupir. J’aurais préféré qu’elle s’obstine au silence, cela ne le sera pas. Il risque d’y avoir des complications. Je bouge légèrement sur mon siège laissant un long silence entre nous.

- Je me félicite d’observer votre maturité, Kaya Kangee. Il n’y a pas que votre corps qui ait muri. Vous avez parfaitement raison, ce qui motive notre action n’a rien à voir, ni avec l’affirmation d’une race sur une autre même si nous nous devons de l’afficher afin de générer une cohésion sociale plus vaste…Les mutants ont failli être exterminés, ils sont toujours silencieusement hors de ces murs soit discriminés dans le meilleur des cas, soit massacrés comme en Chine ou en Australie. Mais Le Nationalisme ne pèse pas lourd face à l’éradication du genre humain. Malheureusement ce monde se remet tout juste de la gifle d’Ultimate, les conflits d’intérêts sont si importants, les lignes marquées avec tant de force que beaucoup se refusent à voir au-delà des valeurs…disons « rassurantes », et de ce fait nous sommes si peu à avoir cette priorité en tête…la survie tout simplement de notre genre.

Mon visage s’assombrit alors que pour la première fois je semble chercher mes mots.

- Il y a si peu de choses que je suis autorisée à vous dire et tant de choses que je sais. La solitude est mon lot comme vous le savez…mais c’est aussi mon choix comme vous avez fait les vôtres. J’ai connu l’enfermement des camps et des tortures pires que bien des mutants, j’ai été délivrée alors que les mutants se battaient déjà pour sauver le monde. J’aurai pu comme vous céder à la vendetta, mais je n’ai pas choisi de le faire. J’ai défendu les miens d’abord….puis j’ai compris que ce qui se dressait devant nous pourrait anéantir toute la planète. Mais devant un danger si considérable, il est parfois bon de savoir mentir à ses amis, pour le peu qu’on en ai. Je suis les Yeux de la Nation Cité…mais mon regard voit au-delà, voit ce qui nous écrasera tous à l’horizon, et vous savez, Kaya ? Ce n’est ni humain, ni mutant….c’est autre chose. Mais ce danger, lorsqu’on a connu l’enfer et perdu tant de personnes chères, on ne veut parfois plus l’affronter….beaucoup on fait ce choix et je le respecte.
Alors en toute sincérité, si un jour vous voulez vraiment vous battre pour protéger plus que cette illusion de sécurité offerte à un peuple en souffrance, si vous êtes prête à aller plus loin que ce que vos yeux voient et ce que les paroles vous donne…alors vous me trouverez et je vous ferai une proposition.
Kaya Kangee, très peu de personnes s’en rendent compte ou ne veulent juste pas le savoir….mais le genre humain est toujours en guerre et il est menacé, Ultimate n’était qu’un prologue et non une conclusion.
Faites-vous votre opinion…. Je nierai de toute façon avoir tenu ces propos s’ils me sont rapportés, ça n’a rien de « personnel » c’est du ressort de la sécurité nationale.

J’en ai terminé avec ce que j’avais à dire du point de vu professionnel, d’un geste dénotant une profonde fatigue, je retire mes lunettes et sorts mon étuis pour les nettoyer.

- Nous avons tous été plus ou moins traqués et arrêtés comme vous. Tous les X Men…tous les élèves….selon leur puissance ils ont été répartis dans des camps pour devenir des « sujets » d’étude. Ce fut le cas de ceux que vous connaissez. Fuzzy et Berserk se sont échappées rapidement fuyant le pays…..De même pour Storm et Cyclope qui ont fondé un groupuscule de résistants, s’alliant pour se faire à quelques confréristes non emprisonnés…Cette période est brouillonne et confuse….L’arrivée d’Ultimate changea la situation. Présenté comme un « mutant fou » par les média, nous avons vite réalisé qu’il était issu d’expérimentations humaines…nous avons compris ensuite bien après les événements que les humains n’ont rien crée…mais c’est un autre débat. Le Professeur Xavier est sorti diminué des camps, affaiblit….Kyle Kreele, son bras droit avait une volonté plus pugnace face aux événements, nous DEVIONS agir…c’est ce que nous avons fait….Les grandes batailles ont emportées beaucoup des notres…Cyclope, Xavier lui-même….et beaucoup furent blessés. Tout s’est joué ici. A San Francisco. Après un plan en trois phases occasionnant des pertes effroyables, nous avons acculé Ultimate et l’avons enfermé dans une autre dimension beaucoup de grands télépathe et téléporteurs se sont sacrifiés pour cela Phénix, Frost, Magik…, il a été impossible de « détruire physiquement » le sujet, il est invulnérable. Berserk, Fuzzy, Wolverine, Rogue et d’autres ont participé à la première vague d’assaut « au contact » pour pousser Ultimate là où nous le voulions. De tous ceux de la première vague seuls Fuzzy et Wolverine en ont réchappé. Berserk est morte là-bas…Toy a choisi après les combats de rester à l’Institut avec d’autres pour le reconstruire et perpétué l’esprit du Professeur Xavier. Elle y est à présent directrice. Quant à nous, nous avons fondés la cité de New Heaven. Fuzzy s’est retirée de ses activités martiales pour se consacrer à la politique en tant que Conseillère à la justice. Elle a fait beaucoup, c’est elle avec son équipe qui a rédigé la constitution de cette nation. Storm dirige le X center dans l’esprit des X Men et forme des jeunes agents de la X Force pour protéger la nation….Une partie de la vieille garde des X Men est toujours au gouvernement.
J’ignore ce qu’il en est de Toy…Mais pour Fuzzy…La perte de son épouse l’a profondément changé. Elle s’est absorbée dans le travail et à défense de ses filles, les affaires qui nous « concernent » nous….elle ne semble plus vouloir y prendre part, elle fait sans doute parti de ceux « qui ont trop perdu ». Et vous faites partie de ces pertes, indiscutablement.
Elle vous a cherché après la guerre, les réponses lui ont été donné de la part du gouvernement américain et de notre part vous donne comme morte, elle en a été très affecté. Elle a insisté pour faire ériger votre stèle, ici même au mémorial, même si vous n’avez pas participé aux combats. Elle n’a jamais officiellement voulu former une autre personne après vous.

J’hésite une fois de plus avant de continuer.

- Je n’ai pas d’empathie pour vous ni pour personne, c’est un fait. Mais je considère la culpabilité qui vous colle à la peau et les réticences qui vous rongent à ressurgir après tant de temps et ce que peut être vous considérez comme des égarements. Mais d’un point de vue humain, Fuzzy a commis durant cette guerre beaucoup de crimes et en a commis aussi après que nous avons soigneusement couverts. Son comportement lui-même dénote une attitude à la dérive…sa vie privée est une succession de scandales qu’elle étouffe, prostitutions, escort girls…elle n’est plus stable. S’il existe bien une personne dont vous ne devez pas craindre le jugement, c’est assurément Caitlyn Oldfield. Mais ce dont nous avons parlé précédemment….ne la concerne plus, j’espère avoir été assez clair sur ce point.

Ma ? Maturité ? Ha bon ? Enfin moi je voulais bien mais… d’où est-ce-que ça sortait ? Bon elle allait sûrement élaborer…

Et effectivement, elle élabora. C’était une manœuvre politique, ni plus ni moins. Cette « révélation » me tira un petit sourire en coin. C’était effectivement une bonne manière de créer une sorte de cohésion sociale autour d’un idéal commun, même si cet idéal ne représentait pas nécessairement la réalité. C’était parfois plus important d’avoir quelque chose de ce genre que de faire face aux faits… C’était triste à dire et c’était même peut-être hautain de ma part, mais c’était des maths de base sans pitié. 5% de la population avait un niveau intellectuel plus avancé que la moyenne, 5% un niveau plus bas, le reste… ne pouvait pas nécessairement comprendre toute la complexité de leur situation. Cela justifiait-il ces manipulations ? Peut-être pas. Peut-être que si…

- Je vois… La grande question : est-il moral de manipuler une population pour son propre bien, si celle-ci n’a pas la capacité physique et intellectuelle de comprendre les enjeux dans lesquels elle baigne ? Moi-même j’n’ai pas trouvé de bonne réponse à cette question compliquée…

La mutante me parla alors… de sa propre expérience. C’était assez inattendu. Et ce qu’elle disait l’était tout autant. Ni humain ni mutant ? Qu’est-ce-qu’elle me chantait encore ? Et c’était quoi, alors, au juste ? Des aliens ? Des Illuminatis ? Mais non… ça ne pouvait pas être une sorte de folklore à la con : Sage était bien trop terre-à-terre pour ce genre de choses. Si elle utilisait ces termes, c’était dans un but précis et parce qu’elle avait des preuves concrètes et palpables… Ce qui était particulièrement inquiétant. Si Ultimate n’était que l’avant-garde d’autre chose, on pourrait avoir des problèmes plus que majeurs. Cette idée me fit froncer les sourcils et je sirotai mon mug de lait en silence, pensive.

Plus de sang, je n’en voulais pas… Mais c’était aussi une occasion pour moi de payer mes dettes. Je n’avais pas défendu qui que ce soit face à Ultimate, j’avais fait face exclusivement à des cibles faciles pour une vendetta brumeuse qui n’avait plus aucun sens, vu à quel point le monde avait changé en peu de temps. Voulais-je me battre pour protéger tout le monde ? D’un côté… Oui. J’avais toujours eu cette vocation. Ce n’était pas pour rien que j’étais passée de gangster de seconde zone à apprentie X-woman. Mais… se battre à nouveau représentait un risque extrêmement réel, celui que mon symbiote décide de me protéger d’une façon inattendue. Que je reperde totalement le contrôle.

- J’vais pas vous jouer de la flûte à bec, c’est une proposition intéressante… Mais vot' manque d’empathie, s’il peut représenter un avantage considérable dans certaines situations, pose ici un problème. Si j'reperds le contrôle à cause de mon symbiote, j'sais pas quelle forme ça prendra. Ça peut être mineur ou ça peut être un désastre total… C’est comme jouer à la roulette et tout mettre sur l'rouge. Vous pouvez d'venir très riche ou ruinée…

Soupirant, je haussai les épaules alors qu’elle reprenait la parole concernant les autres de l’Institut. Voilà quelque chose de majeur… Comme je le soupçonnais, tout le monde avait été emprisonné d’une façon ou d’une autre, certains se sont échappés et d’autres ont eu… moins de chance. Certains des éléments qu’elle me présenta, je les connaissais déjà dans une certaine mesure. En revanche, le fait que Caitlyn et Calie se soient enfuies du pays, je l’ignorais. Où étaient-elles parties au juste ? Aucun pays du monde ou presque n’était tranquille. La majorité avaient leur propre set de « lois anti-mutants » à la con… Concernant Ultimate, il avait été enfermé dans une autre dimension. Carrément. Car il était… invulnérable.

Cette révélation fit s’agiter le symbiote, me laissant une impression familière. Il ne comprenait pas les concepts complexes mais certaines choses simples pouvaient l’animer… Et l’idée qu’il soit possible d’être indestructible, voilà qui pouvait attirer son « intérêt »… A supposer qu’il réfléchisse de cette manière. Mais il ne fallait pas que j’approfondisse la question. L’obsession qu’avait mon symbiote de me protéger m’avait menée à des situations épouvantables et m’avait même faite passer pas loin de la mort, lors de cet interminable sevrage. Il était hors de question de le laisser de nouveau mener la danse et me manipuler dans cette espèce de quête.

Je le laissai donc de côté, m’intéressant plutôt à ce que disait Sage. Calie était morte… ça, je le savais. Je m’étais faite à l’idée mais rien que d’en reparler j’eus une sorte de frisson dans la poitrine. Toy était repartie à l’Institut. Tiens… ça par contre je l’ignorais. Intéressant… Cait’, quant à elle, avait participé à la vie politique de la ville et à sa création. L’idée me fit sourire, nostalgique… Ce n’était pas une grande surprise. Si nous avions bien quelque chose en commun c’était notre côté idéaliste, à l’époque. La différence, c’était qu’elle avait réussi à en faire quelque chose alors que j’avais perdu le mien dans le sang et la mort.

Sage continua, affirmant que la perte de Calie l’avait changée. Tu m’étonnes… Elles ne s’étaient pas connues aussi longtemps que certains vieux couples mais leur relation était tout à fait spéciale. Ce n’était pas le genre de chose dont on pouvait se remettre facilement… Je hochai donc la tête, montrant ici mon absence de surprise. En revanche, quand elle parla de la « défense de ses filles », j’ouvrais de grands yeux sidérés. Ses filles ? De quoi ? Quand comment ? Mais… De quoi ?? Bon, Sage continuait, parlant de ma stèle (putain j’avais une stèle ??) mais il allait falloir me donner des précisions…

Le fait qu’elle m’ait fait faire une stèle et n’ait jamais repris personne sous son égide renforça encore cette sensation de malaise et de honte. Car d’un côté c’était honorant, et beau de savoir qu’elle avait pensé à moi à ce point mais d’un autre… j’aurais sûrement été bien plus héroïque morte.

La brune interrompit mes pensées en signalant que Caitlyn avait elle aussi commis des actes extrêmes et qu’elle aussi avait une tendance à la dérive. Des drames avec des dames sympathiques mais payées à l’heure et autres. Tiens donc… Je soupirai, fronçant les sourcils avec une mine préoccupée. Certes la perte de Calie avait dû être dévastatrice mais au point de partir dans ce genre de choses ? C’était… inquiétant. Mon premier réflexe fut de vouloir l’aider ou au moins proposer mon support – il y avait des choses où on ne pouvait rien faire de mieux que juste être là. Mais d’un autre côté… Il y avait « ça ». Il faudrait que je tente d’y réfléchir après avoir dormi quelques nuits, pour bien gérer l’information…

- C’est noté, répondis-je quand elle me signala que ce dont on avait parlé ne la concernait pas. Quant à votre offre – vague mais existante – j’avoue que j'dois y réfléchir… Reprendre une vraie activité m'serait bénéfique à tous les niveaux et protéger autrui et toutes ces conneries, ça a toujours été mon domaine… Avant les cocktails stimulants, j'veux dire. Ce serait une façon de… payer mes dettes. Enfin, pas vraiment, on ne peut pas « payer » des meurtres, c’est plus au sens philosophique… Je sais qu’une décision de ce genre ne doit pas s'prendre directement donc j'vous recontacte… Je jetai un coup d’œil au calendrier qui était au mur, sur lequel il y avait une dame très équipée en poitrine mais dont la tenue était minimaliste. Mercredi.

Il fallait que je me donne un délai. Si je ne le faisais pas, j’allais étendre mes réflexions pendant des mois et des mois et je ne prendrais jamais de décision – j’étais obligée de m’auto-forcer la main en m’imposant un délai. Dans le cas présent, ça me laissait une semaine et demie pour réfléchir à tout ça, peser le pour et le contre. Mais en attendant…

- Vous avez un moyen d'recontacter Caitlyn… ? Et… Elle a des filles ?

Non parce que, là, ça, pour moi, c’était sorti de nulle part. J’étais quand même assez experte en biologie pour savoir que fille + fille ça ne fait pas un bébé, il y avait donc autre chose et j’avouerais que ça m’intriguait plus qu’un peu…

Alors qu’elle court vers son calendrier, n’ayant rien de plus intéressant d’autre à faire, je me redresse et me relève tout en activant mon communicateur.

- Polson ? Sage, code 325. Merci d’envoyer immédiatement une équipe à l’adresse qui suit par mailing. Une équipe de menuisiers….oui…menuisiers, pour une porte. Une porte d’entrée…en bois….pour la changer, imbécile ! Merci….. Et bien vous apprendrez…

Elle se retourne vers moi en me lançant un jour, je plisse les yeux consultant mon agenda interne par reflexe. Elle poursuit en me posant une question alors que je me prépare déjà à quitter les lieux.

- "Madame Oldfield", je peux lui transmettre votre numéro en indiquant que vous êtes en vie…elle devrait après m’avoir copieusement insultée pour rétention d’informations et écoutée d’une oreille distraite mes fausses excuses et mensonges vous contacter dans l’heure suivante….Sinon, vous la trouverez facilement à Paradise, au Palais de Justice, dans l’immeuble de la Haute Cour, dans son bureau…elle y travaille.
Caitlyn Oldfield a deux filles déclarées. L’ainée, Aislinn, est sa fille par le sang. Vous ne la savez peut-être pas mais Fuzzy a intégré l’Institut après avoir été arrêtée par les forces de l’ordre, déjà fortement enceinte, son enfant a été déclaré mort en couche, ce qui n’était pas vrai. Il a été subtilisé à sa mère par un autre membre de sa famille et conduit en secret en Irlande où il a été élevé. Le couple Lorretto-Oldfiel l’a retrouvé lors de son évasion après avoir été délivré et conduit par ce membre de la famille en exile en Irlande où elles sont restées cachées avant l’arrivée d’Ultimate. La jeune Aislinn semble suivre les traces de sa mère et s’est engagée dans la formation d’Agent X, elle a connu beaucoup de difficultés de comportement, c’est une idéaliste fervente mais aussi une rebelle née qui entre très souvent en conflit avec sa mère mais c’est un des meilleurs nouvel agent de New Heaven d’après ses résultats. Caitlyn a adopté une survivante des destructions de San Francisco, la jeune Jade Oldfield, qui avait alors 8 ans. D’origine asiatique, elle ne se destine pas à l’action mais aux études, elle possède un QI hors du commun et se passionne pour les mathématiques et les sciences. Elle est cependant « très spéciale » souffrant probablement d’une forme légère d’autisme et de nombreux TOCS…. Actuellement Caytlin a pris sous tutelle une autre survivante de guerre, Ariella Miller, elle laisse sous-entendre qu’elle adoptera aussi cette dernière. Caitlyn a toujours vécu avec Jade depuis le Big Day, Aislinn n’est à New Heaven que depuis quelques mois, elle l’avait envoyé dans un camp disciplinaire en Irlande, il semblerait que Wanderess, c’est son nom d’Agent se soit enfin assagie ces derniers temps.

Ayant terminée Je me dirige vers la porte silencieusement tout en commandant à mon véhicule garé non loin dans une autre rue de venir me chercher.

- Inutile de fixer un jour….si ça vous intéresse, c’est à vous de me trouver. Montrez-moi que vous êtes toujours capable de suivre une piste et monter une enquête Steel Wing. Ah et renseignez-vous sur la Garde Rouge, c’est de cela dont je voudrais vous parler… Mais soyez prudente avec ce terme, très peu en connaissent l’existence.

Je passais la porte avant une fois de plus de m’immobiliser.

- Oh une dernière chose…La fenêtre de votre living la bas….elle donne sur une autre barre d’immeuble ou il y a un appartement ou Barton Justice,24 ans jeune étudiant en mécanique au centre de Formation de Bradford a pris l’habitude de braquer son télescope afin de vous voir déambuler nue après votre douche. Certaines vidéos floutées de vous sont même trouvables sur des sites pornographiques, section Voyeurisme. Un simple rideau aurait suffi à éviter ce genre d’ennui. Ce fut un réel plaisir et une joie indéfinissable de vous revoir, Kaya Kangee. Bonne journée.

Un coup de fil, et hop ! Une équipe de menuisiers était envoyée chez moi. Enfin... visiblement pas avec un grand enthousiasme ; Sage était un peu en mode "démerdez-vous". L'échange me fit un peu sourire mais je me retins de faire la moindre remarque, jugeant que faire la maline maintenant ne m'apporterait qu'un amusement limite. Étant donné que j'attendais des réponses assez importantes de sa part, il valait mieux éviter de se lancer dans quoi que ce soit qui puisse détourner son attention du sujet principal : "madame Oldfield". La brune me donna le choix entre la contacter elle-même ou me laisser aller la voir et... je devais bien admettre que je ne savais pas trop quelle option choisir. La première était un peu bizarre, par le fait que ce n'était pas moi qui la contactais directement. Ce n'était pas vraiment le genre de nouvelle que je donnerais genre par e-mail ou par SMS, du coup par l'intermédiaire de la charmante et tout à fait sympathique Sage ? C'était relativement moyen en fait... Du coup, bofbof dans les faits. L'autre option était d'aller la voir en mode "SURPRISE LOL", sauf qu'elle était quand même un brin occupée, professionnellement parlant. Du coup... Forcément... Mon retour surprise pourrait bien foutre la merde dans son planning. Autant foutre la merde dans le planning de quelqu'un qui sert de la bière dans un bar merdique c'est pas très grave, autant faire pareil avec quelqu'un qui est à la Haute Cour, c'était un autre problème...

Ceci dit, cette question soulevait encore une fois l'intéressant problème de l'importance que je m'auto-accordais. J'étais en train de me dire qu'au final, les dossiers étaient sûrement plus importants que de me retrouver après des années entières à me croire morte... Enfin, au moins maintenant j'étais consciente du problème : mon cerveau ne tentait pas tout seul de trouver des rationalisations à mes pensées auto-dépréciatrices. Du coup, en étant consciente... Je pouvais plus facilement faire un choix : autant que j'aille la voir directement. Bon... On ne me laisserait pas entrer comme ça dans la Haute Cour. Certes j'avais développé un vrai art de savoir m'incruster là où je n'étais pas censé être (et j'avais découvert qu'il suffisait d'agir comme si j'étais censée être là) mais on parlait ici d'un endroit avec beaucoup plus de mesures de sécurité qu'un bar ou un parc des expositions. De fait, il faudrait que je l'attende à la sortie. Mais si elle prenait une voiture, elle sortirait du garage et je n'arriverais jamais à tomber sur elle. Fait chier. Bon, je trouverais un moyen tant pis. Autant me focaliser sur la suite : les mystérieuses filles.

La première était nommée Aislinn, fille de sang. Sage parla du fait que Cait' était enceinte après son arrestation, son enfant mort en couche... Je me rappelais de ça, oui, elle m'en avait parlé. Et ça n'avait pas été un moment des plus joyeux pour elle... Mais le fait que sa fille soit en fait vivante, je n'osais pas imaginer une seconde le mélange de confusion et de joie que ça avait pu produire chez elle ! Et de confusion tout court chez la gamine, surtout si elle avait été élevée par un couple sans rapport particulier. Quant à la formation comme Agent X, cela me fit sourire un peu... Telle mère, telle fille pour le coup, ce qui était quand même dingue vu que Cait' n'avait pas fait TOUTE son éducation - on aurait donc pu imaginer qu'elles seraient très différentes et pourtant, que dalle. Difficultés de comportement, rebelle née, idéaliste, mais déterminée à faire ce qui est juste. Le genre à préférer faire le choix juste plutôt que le choix intelligent... Contrairement à Sage en fait. Quelque chose me disait que cette gamine me plairait, tiens. Enfin...

L'autre était une certaine Jade Oldfield, mais adoptée après que Cait' l'ait retrouvée dans les ruines de San Francisco. Un profil intéressant. Intelligence élevée, grand intérêt pour la science, quelques bizarreries mentales et psychologiques... A ce niveau elle ressemblait un peu à mon "autre face". C'était assez drôle... Si j'avais eu des parents et une éducation normale, pas de mutation, pas de gangs, rien de ce genre, je serais sûrement devenue un peu comme ça. Après avoir fini mes études en biologie moléculaire je me serais lancée dans une autre spécialisation - sûrement la physique - pour après faire de la recherche et de l'enseignement. Et une partie de moi voulait toujours faire ça, en fait. J'avais vu une place libre à l'académie Tomorrow pour un professeur de biologie pour les étudiants de première année et j'avais été à deux doigts de postuler. J'ignore encore ce qui m'avait retenue, en fait. Peut-être pourrais-je trouver un moyen d'analyser ça, mais plus tard. La jeune Jade semblait être très intéressante aussi, même si très différents d'Aislinn. Et de Cait', sur pas mal de points.

Et la dernière, une dénommée Ariella Miller mais Sage ne fila pas plus de précisions. Soit. Une fois son laïus terminé elle partir vers la sortie tout en précisant que c'était à MOI de la trouver. Ah bon. Je pris un air un peu perplexe alors qu'elle me disait que je devais lui montrer que j'étais en mesure de "suivre une piste" et compagnie. Ben tiens. Et elle me demanda de me renseigner sur la Garde Rouge, tout en ne prononçant pas de nom à tous les coins de rue. Hmoui... J'étais censée la retrouver comment, par magie ? Et pour conclure le tour, elle déclara qu'un type en face de chez moi faisait du voyeurisme. Cela dit... Le fait que je n'aie pas de rideaux ou de volets devait pas mal jouer mais je n'y étais pas pour grand chose : ce con de propriétaire refuse que je fasse des trous ! Du coup j'étais censée en mettre comment, des rideaux ? Bon... Tant pis je trouverais une idée. Barton Justice, hein... On verra bien. Le fait que ça soit trouvable sur des sites porno et que je ne sois pas au courant me surprenait, par contre : il y en avait quelques uns dans mes favoris. Sûrement des trucs de plus petite envergure.

- Je contacterai Caitlyn moi-même, lançai-je avant qu'elle ne parte. Je ne sais pas si je vous retrouverai sans la moindre piste mais défi accepté... et je ne m'appelle plus Steel Wing depuis des années. Je m'appelle... Rien du tout. Bonne soirée.